Mahmoud Dowlatabadi

Missing Soluch1

Publié pour la première fois en 1979

Traduit du persan vers l’anglais par Kamran Rastegar

Melville House (2007)

Ayant apprécié “The Colonel” (voir mon commentaire plus bas), j’ai eu envie de lire un second ouvrage du même auteur.  Se déroulant dans un tout autre contexte, “Missing Soluch” m’a semblé tout à fait approprié.

Composé et mémorisé alors qu’il était en prison puis rédigé en un rien de temps une fois que M.Dowlatabadi eut retrouvé la liberté, “Missing Soluch” nous plonge dans le quotidien d’un village d’Iran au cours des années 1960. S’étalant sur une période d’environ une année, le récit illustre comment la vague de modernisation que traversa le pays à cette époque affecta la vie des membres de cette communauté.

L’histoire commence au moment où Mergan constate la disparition inexpliquée de Soluch, son époux et père de leurs trois enfants. Consternée, elle tente de s’ajuster à cette situation, assumant du mieux qu’elle le peut ses nouvelles responsabilités, cela tout en se conformant au rôle et à la place qui lui sont traditionnellement dévolus. Mais cela ne se fera pas sans heurts et dans les heures, les jours et les mois qui suivront, Mergan sera confrontée à de nombreuses difficultés.

Par le biais des événements alimentant le quotidien de cette famille nous assistons donc à une variété de situations au long desquelles, outre les divers aspects de la vie au sein du village, les habitudes , certaines coutumes et autres éléments d’ordre culturel, les métiers traditionnels, la structure et les relations sociales, l’économie et les difficultés auxquelles on doit faire face d’une saison à l’autre, sont confrontés aux divers changements affectant cette collectivité.

Evoluant dans un contexte où les ressources sont maigres et où la survie est menacée par la moindre modification apportée aux conditions dans lesquelles ces hommes et ces femmes ont appris à vivre, nous observons comment peu à peu l’équilibre de cette communauté sera fragilisé puis fragmenté sous la pression exercée par le développement économique et technologique.

A travers ce récit, l’auteur dresse un portrait de société en mutation particulièrement éloquent en même temps qu’il explore un thème à la fois universel et intemporel, un thème qui à mon avis, aurait mérité d’être soutenu par une conclusion un peu plus substantielle.

Divisé en quatre parties dont chacune raconte, suivant un modèle de type ’cause à effet’ ,les événements entourant un ‘moment’ pivot dans l’évolution de l’intrigue principale, c’est un roman qui dans la forme et le sujet fonctionnerait bien et serait aisément adaptable en mini série.

Mais, si la construction est simple, c’est au niveau de la narration que ce roman prend toute son envergure. Adoptant tour à tour les perspectives des principaux protagonistes pour ainsi explorer leurs points de vues respectifs, détailler leurs motivations, leurs ressentis, leurs contradictions, voire leurs pensées, puis examiner les interactions qu’ils ont avec les autres personnages, le récit offre par conséquent une vision panoramique parfaitement adaptée au portrait de société qu’il dessine.

Servies par une langue imagée et parsemées d’ expressions populaires, les descriptions, plus solides au niveau des personnages et des ambiances que des lieux, sont à la fois évocatrices et habilement fondues au récit. Parallèlement, soigneusement amenée, l’action bénéficie d’une intensité dramatique fascinante.

Admirablement tracé, soutenu par une habile approche de la psychologie humaine, ce portrait de société témoigne d’un sens aigu de l’observation et d’une belle maîtrise de l’art. Dans la foulée, on ne peut qu’espérer pouvoir éventuellement découvrir “Kelidar”, considéré comme étant l’oeuvre maîtresse de cet auteur2.

 

Notes:

1.Titre français: L’absence de Soloutch

2.Ce roman n’a pas encore fait l’objet d’une traduction vers anglais ou le français.

* *

The Colonel1

Publié pour la première fois (en langue allemande) en 2009

Traduit du persan vers l’anglais par Tom Patterdale

Haus Publishing (2011)

Depuis quelques années j’ai pris l’habitude, lorsque j’aborde la littérature d’un pays dont je n’ai encore rien lu, de commencer par des romans se déroulant dans un contexte qui aurait particulièrement marqué l’histoire ou la culture du pays en question. Bien que je ne sois pas passionnée d’histoire, en règle générale cette approche constitue pour moi une bonne manière de m’introduire au pays, de même qu’elle me permet de contourner l’espèce de timidité que j’éprouve parfois à la perspective de partir à la rencontre d’un grand inconnu. C’est donc dans cette optique que j’ai choisi d’aborder la littérature iranienne avec “The Colonel”, un roman se déroulant dans les alentours de la révolution iranienne, soit vers la fin des années 1970 et le début des années 1980.

L’histoire commence au milieu de la nuit, dans une petite ville de province et dans une atmosphère lourde et chargée d’incertitudes.

I’d better put my cigarette out first…

This was perhaps the twentieth butt that he had stubbed out since nightfall. He was feeling suffocated and he had smoked so much that he had lost all sense of taste. The cracked pane in front of him had steamed up. It was unusually quiet […] There was nothing but the sound of the unremitting rain drumming on the rusty tin roof, so unceasing that it amounted to silence.” (p.1)

Je ferais mieux d’éteindre ma cigarette en premier

C’était peut-être le vingtième mégot qu’il écrasait depuis la tombée de la nuit. Il avait tellement fumé qu’il se sentait suffoqué et avait perdu tout sens du goût. Devant lui, le panneau fêlé de la vitre s’était recouvert de buée. La nuit était exceptionnellement calme […] Seul le bruit ininterrompu de la pluie tambourinant sur le toit de tôle rouillée se faisait entendre. Un bruit si uniforme qu’il finissait par s’apparenter au silence. ” (Traduit de l’anglais par moi)

Puis le récit enchaîne avec l’arrivée de deux policiers qui, après s’être introduit chez le colonel, l’enjoignent de les accompagner pour une courte visite au bureau du procureur. Au fil des heures qui suivent nous découvrons en cet ancien militaire, un homme qui tente de nouer les derniers fils de son existence.  Après avoir vécu la plus grande partie de sa vie sous l’ancien régime impérial, c’est à travers les divers destins de ses enfants qu’il prend la mesure des répercussions qu’a eu la révolution de 1979 sur son pays. Déstabilisé, questionnant au passage le rôle qu’ont pu jouer diverses personnalités dans l’évolution de la situation politique du pays, interrogeant également sa responsabilité d’homme et de père, il tente de trouver un sens à la confusion et au désarroi régnant autour de lui.

Conçu dans la désillusion des lendemains de la révolution, c’est un roman pessimiste dont l’atmosphère sombre, marquée par la violence et la répression, reflète sans doute assez fidèlement le contexte de l’époque.

Tandis que l’intrigue ou fil principal, évolue de façon linéaire et sur une durée d’environ vingt-quatre heures, c’est par le biais d’une narration brillamment menée que le récit emprunte les diverses avenues secondaires au long desquelles il prend forme et substance. Oscillant entre le ‘je’ et le ‘il’, glissant subrepticement d’une perspective à une autre, de même que valsant entre présent et passé, puis entre songe et réalité, le récit explore ainsi les divers moments ayant marqué l’existence du colonel et de ses proches.

Remarquablement maîtrisé, ce procédé narratif met en relief la qualité de l’écriture tout en donnant lieu à une construction relativement complexe sur laquelle le récit déploie naturellement une belle amplitude. Au surplus, il permet au lecteur d’expérimenter, du moins de manière intuitive, le sentiment de désarroi ainsi que la perte de repères vécus par les protagonistes et par extension par ceux qui ont assisté à ces événements.

Homme de théâtre doublé d’un écrivain, Mahmoud Dowlatabadi exhibe ici un sens aigu des ambiances, du ressenti et de l’intériorité. Malgré une biographie quelque peu déficiente, ses personnages sont tracés dans l’immédiateté avec une précision et un réalisme exceptionnels. Patiemment taillée depuis l’enfance, sa prose, faite de mots choisis et de phrases soigneusement élaborées, donne lieu à un texte d’une puissance et d’une profondeur remarquables.

En dépit d’une certaine complexité narrative ou des diverses références historiques et culturelles2 qui ont parfois ralenti ma lecture, j’ai été happée par ce roman dont l’intensité dramatique n’a d’égale que son pouvoir évocateur.

Exigeant une lecture attentive, cette œuvre fait honneur à la réputation d’un auteur qui, adulé dans son pays3, reste encore peu traduit et trop peu connu des lecteurs occidentaux.

Notes:

1.Titre français: Le colonel

2.A cet effet, saluons l’excellence de la présentation ainsi que le soin apporté aux notes proposées par Tom Patterdale.

3.Soulignons cependant qu’à ce jour, la publication de ‘The Colonel’ en version originale n’a pas encore été autorisée en Iran.

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