Dix mots – Histoires d’eau

Ce jeu consiste à composer un texte dans lequel dix mots présélectionnés doivent apparaître.  Ici j’utilise DIX MOTS portant sur le thème de l’eau, série de mots que j’ai empruntée à  www.dismoidixmots.culture.fr:

          AQUARELLE    A VAU L’EAU   ENGLOUTIR    FLUIDE

                                MANGROVE    OASIS

             ONDEE    PLOUF    RUISSELER  SPITANT

HISTOIRES D’EAU

Assise derrière le chevalet Sara se redressa, s’étira un peu, puis tournant les yeux vers la fenêtre elle soupira. Cela faisait plusieurs jours qu’elle travaillait sur ce tableau. Mais ici les journées étaient courtes et dès que le soleil s’inclinait vers l’horizon, dès que la lumière jetait des ombres sur le paysage, elle était forcée de tout arrêter. Arrêter et attendre le lever d’un autre jour pour se remettre à l’ouvrage et petit à petit parachever son œuvre.

Tout en admirant l’horizon qui imperceptiblement pâlissait, elle allongea le bras vers la petite table où elle rangeait son matériel et sans vraiment y prêter attention, elle déposa son pinceau qui spitant d’aise, plongea joyeusement pour aller s’engloutir dans son espace de repos.

Sara s’étira de nouveau, bailla, se leva, puis tournant le dos à la fenêtre et laissant derrière elle son espace de travail, elle se dirigea vers la salle de bains, enchaînant avec le rituel des jours de boulot: d’abord la douche, ensuite un repas frugal, un peu de lecture et une nuit de repos…

Cela faisait plusieurs jours que nous avions quitté la côte et tandis qu’abrutis par l’inaction et bercés par le roulis du navire nous progressions vers un avenir inconnu, l’excitation nerveuse du départ avait fait place à une sorte de torpeur nonchalante. Mais à mesure que le temps passait, à mesure que les vivres diminuaient, peinant de plus en plus à refouler l’anxiété à laquelle nous tâchions de ne pas céder, les voix, nos voix, étaient devenues taiseuses et nos regards fuyants.

Mais nous tenions bon.

Nous nous accrochions, scrutant l’horizon à travers le hublot, avec l’espoir de voir épaissir l’imperceptible ligne, point de rencontre entre ciel et terre, anticipant presque comment, du côté d’où nous venions, elle allait épouser au gré de multiples ondées miroitantes, les formes fluides d’un improbable oasis marin, au-dessus duquel peu à peu nous verrions enfin grandir sur le bleu du ciel, les formes d’une réalité anticipée.

Heure après heure, jour après jour, nous nous accrochions à des images venues d’autre part, porteuses d’espoir, d’espoir, d’espoir.

Puis vint la tempête. Subitement, en pleine nuit elle s’abattit sur le monde comme une main diabolique.

Mise en rage par un vent violent, la mer rassemblant toutes ses forces, se gonfla et se souleva comme une bête féroce, menaçant depuis son lit jusqu’en ses extrémités, d’envahir les terres pour aller y déverser son fiel.  Allongés sur notre grabat, nous qui rêvions de paisibles trajets parmi les mystérieux enchevêtrements des mangroves, fûmes confrontés pour la première fois de notre vie à la violence combinée des éléments. Sous le voile de l’immobilité, nous étions tous terrorisés. Certains, contrits jusqu’à la moelle, en appelèrent à la clémence des dieux tandis que d’autres, mal-en-point ou en alerte, attendaient en silence leur dernière heure…

Toute la nuit durant, le vent souffla fort. De loin en loin on pouvait l’entendre battre la chamade.

Allongée sur sa couche, Sara dormit d’un sommeil agité. A son réveil, dès le premier coup d’œil jeté à la fenêtre, elle comprit que l’aspect du monde avait basculé. Entre un ciel alourdit et d’épaisses masses de brouillard, laiteuse, une pâle lumière peinait à se frayer un chemin. Venant par bourrasques, la pluie giclait sur les vitres de l’atelier. Près de la fenêtre, telle une dévergondée rentrée au petit matin chaussures à la main et rimmel ruisselant, l’aquarelle, de guingois sur son séant, arborait avec innocence l’aspect délavé des couleurs parties à vau l’eau. Disparus les contours de la baie, effacés les profils des cabanes dispersées le long de la côte, gommées les jolies barques de pêcheurs, de la scène peinte au cours des jours précédents, il ne restait que la mer, la mer se confondant au ciel en un indescriptible marasme de gris et de blancs au milieu duquel, une pâle esquisse laissait deviner les restes d’un vaisseau échoué.

Sur la table, gisant telle une épave au milieu d’une flaque d’eau, reposait le pinceau. Interloquée, Sara fit quelques pas, puis empoignant vigoureusement le diablotin, elle le lâcha au-dessus du bocal. Vive, la réplique ne se fit pas attendre, jaillissant sardoniquement en un plouf éclaboussant.

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