The Iraqi Christ
Traduit de l’arabe vers l’anglais par Jonathan Wright
Comma Press (2013)
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Découvert par le biais d’articles divers croisés sur le web, ce recueil au titre étrange m’a donné envie de tenter une première expérience en la littérature iraquienne. En dépit de la crainte que j’éprouvais de ne pas être en mesure de bien comprendre des récits se déroulant dans un environnement culturel avec lequel je ne suis pas familière, la curiosité ayant eu raison des appréhensions, c’est non sans une certaine timidité que, livre en main, je me suis plongée dans l’univers de Hassan Blasim.
Composé de quatorze récits, ‘The Iraqi Christ’ nous introduit aux diverses formes, aux divers tournants que peut prendre l’existence lorsqu’elle est plongée ou lorsqu’elle ressort d’un contexte, d’une réalité telle que celle avec laquelle le peuple iraquien doit composer depuis plusieurs décennies.
Maniant l’art de transcrire cette réalité en fiction, Hassan Blasim nous sert ici des récits qui, à la manière des ‘Mille et une nuits’, se déploient en une multitude d’histoires.
En tête de file, ‘The Song of Goats’ donne le ton: après la chute du dictateur, quand une chaîne de radio de Bagdad lance un concours d’histoires vécues, elle se voit submergée, le jour des auditions venu, par une foule de candidats prêts à se disputer le récit des pires atrocités.
Mais si dans cette nouvelle le narrateur, bien que placé au milieu de l’action, adopte nettement une position d’observateur-transmetteur, ailleurs, quand il n’est pas personnage principal, il se glisse volontiers parmi les protagonistes où, adoptant alors une position d’observateur-acteur-conteur, il nous relate avec autant de proximité que possible, les événements en cours.
Se distinguant ainsi par la forme narrative du classique de la littérature arabe, ces récits se singularisent également par un mode d’expression contemporain servi par une prose imagée mais peu encline aux prouesses stylistiques , des déplacements de perspective, ainsi que par un registre réaliste que viennent teinter quelque touches de fantastique, d’ironie ainsi que d’occasionnelles circonvolutions hallucinées frôlant un surréalisme qui fait écho à l’indicible.
Douloureuses, marquées par la violence, la terreur, le désarroi et la solitude, ces histoires sont à la fois narrées avec une proximité étudiée et traduites avec une lucidité qui se laisse deviner à travers le voile de la fiction.
L’approche choisie par l’auteur est d’ailleurs clairement évoquée dans ‘Why Don’t You Write a Novel, Instead of Talking About All These Characters?’, un récit au sein duquel Hassan Blasim devient protagoniste pour ainsi réfléchir sur son rôle ainsi que sur la perspective qu’il adopte. Un procédé qui du reste met bien en relief la nature inclusive (et forcément subjective) du ‘je’ narratif, un ‘je’ qui, soulignons-le, reste aussi près que possible du ‘il/ils’ tout en conservant une petite distance avec le ‘nous’.
Comme c’est généralement le cas avec les recueils de nouvelles, qualité ou intérêt varient d’un récit à l’autre et hormis l’étrange uniformité qu’exhibe la narration, l’ensemble de ces récits témoigne d’un travail soigné.
Bouleversantes, choquantes, déstabilisantes ou désespérantes, en filigrane de ces histoires, se dresse un profil, un tracé évoquant la constante présence de ce versant sombre et parfois nauséabond de notre humanité, indomptable noirceur contre laquelle, l’autre face ne semble offrir qu’une faible lueur d’espoir.
Mais au-delà de la lourdeur du propos, ‘The Iraqi Christ’ témoigne d’une créativité et d’un talent qui n’ont peut-être pas encore déployé toute leur mesure, mais qui incitent le lecteur à anticiper le plaisir de pouvoir éventuellement en découvrir un peu plus.
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