Né à New York en 1843 dans une famille fortunée, c’est en homme du monde et armé d’un riche bagage culturel qu’Henry James entre en littérature. Son œuvre est substantielle et à l’exception des essais, elle se compose d’ouvrages dont l’action, se déroulant aux Etats-Unis, en Europe ou de part et d’autres des deux continents, est animée par des personna-ges dont la plupart sont issus de cette petite bourgeoisie étatsunienne qu’il connaît bien. Parmi ses écrits, bon nombre s’intéressent plus particulièrement à la psychologie des personnages telle qu’elle se manifeste au long des diverses situations rencontrées par ceux-ci et sont servis par une prose reflétant habilement le mode d’expression propre au milieu où ils évoluent. Après avoir découvert, il y a de cela quelques années, ‘Le tour d’écrou’ et ‘Les Bostoniennes’, je reviens vers cet auteur, cette fois pour faire connaissance avec l’essayiste avant de revisiter le romancier.
Hawthorne by Henry James
Macmillan (1879)
Gracieuseté de Project Gutenberg
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C’est en cherchant à documenter ma lecture d’ouvrages signés par Nathaniel Hawthorne que j’ai croisé cet essai écrit par Henry James. Malgré quelques hésitations, la curiosité et l’intérêt constituant une paire de voix à laquelle il m’aurait été difficile de résister, je me suis donc laissé porter par leur appel. Puis dès les premières phrases la qualité de l’écriture de même que la double perspective qu’offre ce livre m’ont séduit.
Lorsqu’il publie cet ouvrage, quinze ans après la mort de Nathaniel Hawthorne, Henry James, a déjà le premier tiers de son œuvre sous le bras. A trente-six ans, c’est un homme cultivé, jouissant d’une solide réputation dans les milieux littéraires, sinon en société, son aisance est palpable.
La prose est habilement tournée et on se laisse aisément entraîner dans le sillage d’un Henry James que l’on découvre ici sous un jour plus intime, en homme de lettres exposant ses vues. Le ton est parfois confidentiel, d’autres fois condescendant tandis que le point de vue reflète assez nettement la situation de l’auteur qui, en tant que bourgeois étatsunien et homme de lettres expatrié à Londres, s’emploie à susciter l’intérêt d’un lectorat britannique pour un sujet émanant de son lointain et jeune pays d’origine.
S’appuyant sur les carnets personnels de Nathaniel Hawthorne, sur une biographie rédigée par George Lathrop (poète et beau-fils de N.H.), ainsi que sur une connaissance approfondie de l’œuvre, Henry James retrace les étapes et événements importants de la vie d’Hawthorne, le contexte social et politique dans lequel il a évolué, ainsi que les traits de sa personnalité qui ont contribué à l’élaboration de l’œuvre que l’on connaît.
Tout en présentant son sujet, Henry James nous révèle ses points de vues sur la littérature, sur la politique et sur l’évolution de la nation étatsunienne (certains commentaires n’ont d’ailleurs pas manqué de heurter les sensibilités de ses compatriotes). Il est cependant regrettable qu’il se soit si peu attaché à décrire le paysage littéraire dans lequel s’inscrit l’œuvre d’Hawthorne, nous privant ainsi d’une perspective plus complète.
Cela dit, James connaît bien son sujet, Nathaniel Hawthorne ayant été une source d’inspiration au début de sa carrière, il maîtrise ses outils (l’analyse, la conception et la composition sont de bonne facture) et il possède suffisamment de proximité et de distance par rapport au sujet traité pour être en mesure de nous offrir un portrait juste quoique nettement adapté au public visé.
On découvre en Hawthorne un homme solitaire, retiré (voire casanier) et un écrivain dont l’attention est essentiellement tournée vers la morale et la conscience de l’homme. Diverses citations réaffirment ce que l’on aura pressenti à la lecture de ses romans et nouvelles, notamment, un sens de l’observation créatif, un humour irrésistible, une attirance pour les contacts avec la nature ainsi qu’une certaine impatience envers ses semblables.
Si James exhibe un grand respect pour l’homme ainsi qu’une sincère admiration pour ses qualités d’écrivain, il ne manque cependant pas de souligner les lacunes dont souffrent ses récits. En dépit d’un caractère quelque peu subjectif, cet essai rend assez bien justice à Nathaniel Hawthorne et contribue agréablement à l’appréciation de son œuvre.
Note: Ce livre a été publié en français aux Editions José Corti. ISBN: 978-2714307286
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The Portrait of a Lady1
Penguin (1986)
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C’est avec ce premier chef-d’œuvre qu’Henry James clos ce qui sera éventuellement considéré comme étant la première des trois périodes composant sa carrière d’écrivain. Initialement conçu pour être publié sous la forme d’un feuilleton (1880-81), c’est un roman qui, une fois transposé en livre, pourrait sembler bien plus copieux aux yeux pressés du lecteur d’aujourd’hui qu’à ceux, moins avides de rapidité, de nos prédécesseurs.
Tel qu’il le souligne en préface, c’est en partant d’une image, d’une vision qu’il avait du personnage d’Isabel Archer, qu’Henry James a composé ce roman. Une image qui, confiera-t-il plus tard, fut en partie inspirée par une cousine décédée pour laquelle il éprouvait une grande affection. Sinon, au départ, comme ce fut souvent le cas, il n’avait pas de projet précis, pas de structure ni de sujet en tête et souhaitait tout simplement se laisser guider par ce que lui inspirait ce personnage. Le récit évolue donc lentement,-d’une manière qui m’a rappelé le mouvement gracieux des nuages dans le ciel-, en fonction des situations, des contacts et autres interactions entre les différents éléments mis en scène.
Cette approche, qui est judicieusement servie par la narration (voix ‘neutre’ adoptant divers points de vue), devient particulièrement intéressante, surtout à un tel niveau de maîtrise, car elle permet à l’auteur de constituer une personnalité, non pas statique, mais que nous découvrons, de la même façon que nous le ferions dans la réalité, à travers les actions, les déclarations et les réactions produites par les personnages. Il en résulte un portrait multi-facettes simulant la réalité avec brio. C’est en cela que l’on reconnaît la finesse du travail d’Henry James; tandis qu’il montre et décrit ses personnages sous divers angles, il nous incite, grâce aux impressions reçues, à prendre part au récit en y allant de notre propre interprétation.
Ainsi on observe Isabel Archer, qui depuis son Albany natale arrive bientôt en Angleterre, emportant dans son bagage, outre ses rêves et ses idéaux, sa candeur nord-américaine ainsi que la fraîcheur et l’innocence de ses vingt-deux ans. C’est avec un regard neuf qu’elle découvre un univers où gravitent depuis fort longtemps une poignée d’individus, -pour la plupart des bourgeois étatsuniens expatriés-, qui, déracinés et dénaturés, évoluent suivant un système de règles et de conventions sociales avec lequel l’héroïne apprendra à composer. Puis, éventuellement portée par le courant de la vie, croisant l’amitié et négociant avec les méandres de l’amour, Isabel se retrouvera, à l’aube de la trentaine, face à sa propre vérité.
Roman psychosociologique et roman d’apprentissage donc, il est constitué d’une histoire relativement simple qui, outre un parallèle entre l’ancien et le nouveau monde, aborde divers thèmes d’intérêt tel que le libre arbitre, la morale, le mariage, la condition féminine ainsi que la valeur de l’esthétisme dans l’art et la société.
La prose est impeccable et la narration finement réglée.
Si le tableau d’ensemble souffre d’un cadrage socio-historique imprécis, en revanche, James connaît bien l’univers décrit et ne lésine donc pas sur les détails. Faisant état des habitudes et autres usages liés au contexte, y allant au passage de quelques références littéraires et artistiques, il adopte de manière tout-à-fait naturelle le mode d’expression propre au milieu et à l’époque concernés, créant ainsi une ambiance parfaitement authentique.
Bref, fidèle à la réputation qui le porte, ce roman témoigne d’une grande maîtrise de l’art.
Note:
1.Titre de l’édition française: Portrait de femme
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