Courrier de nuit
Titre orginal : Barîd al –layl (Dâr al –Adâb, 2017)
Traduit de l’arabe vers le français par Philippe Vigreux
Actes Sud 2018
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Cher ami lecteur,
A l’image de la formule adoptée par l’auteure dans Courrier de nuit, j’ai eu envie de t’adresser cette lettre afin de te faire part de quelques-unes des impressions qu’a fait naître en moi ce moment de lecture.
Mais avant cela, je dois d’abord te dire qu’après avoir posé un bref regard sur les œuvres d’Hoda Barakat actuellement disponibles en traduction française, -sauf erreur j’en compte sept-, c’est celle-ci, la dernière en date, qui m’aura le plus tenté. En effet, intriguée par la forme, à savoir cet enchaînement de lettres diverses que nous découvrons au fil du roman, j’ai été irrépressiblement attirée par ce livre. C’est donc par là que j’ai abordé l’univers créatif de cette auteure d’origine libanaise.
Dans ce roman composé de deux parties auxquelles vient se greffer un épilogue, j’ai donc découvert, en premier lieu, cinq lettres, cinq personnages, et cinq vies. Ecrites dans un moment de solitude, parfois sur le coup d’une impulsion, parfois dans l’urgence, tel un fil lancé dans la nuit, ces missives sont adressées à un proche avec lequel leur auteur(e) tente de communiquer. Mus par un besoin de se mettre au clair, de se livrer, de se confier, ou de se libérer, phrase après phrase, ces hommes et ces femmes tentent de mettre en mots un morceau de leur histoire que par la même occasion nous découvrons. Ce faisant, nous entrons dans l’intimité de leur discours respectif, y découvrant leurs espoirs et leurs désillusions, tels qu’ils les perçoivent et osent les décrire à ce moment précis.
Depuis la première lettre, celle d’un homme qui écrit à une femme aimée, à la dernière, écrite par un jeune homme qui après plusieurs années de silence s’adresse enfin à son père, chacune de ces lettres passe d’une main à l’autre,-par un procédé que j’ai chaque fois trouvé ingénieux-, sans toutefois parvenir à leur véritable destinataire.
Des destinataires dont certains animent la seconde partie du roman où, à la façon d’un miroir retourné, nous observons d’autres hommes et femmes eux-mêmes enchevêtrés parmi les fils de leurs existences, qui ainsi nous livrent à travers leurs points de vue respectif, une sorte d’envers de la médaille.
Ayant trouvé le concept de ce roman fort intéressant, j’avoue avoir pris plaisir à découvrir la manière dont l’auteure a su le développer. Les personnages sont variés et plus que leurs voix (qui m’ont semblé parfois manquer de personnalité), leurs histoires respectives les distinguent les uns des autres, et nous entraînent plutôt bien parmi les méandres de leurs expériences.
A l’issue de cette lecture, la première question que je me suis posée, cher lecteur, était de savoir à quoi pouvaient bien rimer ces fragments d’existences qui nous donnés à découvrir au fil des pages de ce livre. Plus précisément, je me suis demandé quel motif unit les différentes pièces du puzzle composant ce roman.
Parce que si le fond, c’est-à-dire l’époque (actuelle) et le lieu (le Moyen-Orient) ne semble constituer qu’un vague trait d’union entre ces êtres, force nous est de conclure qu’il doit bien y avoir autre chose de plus… significatif qui les relie. Et ce quelque chose, je pense, se niche au creux de leurs histoires. Ainsi, tant par ces lettres qui ne vont à proprement parler nulle part, que par les histoires qu’elles dévoilent, ces fragments d’existences m’ont tous semblé explorer la notion de ‘rendez-vous manqué’.
En effet, qu’il soit question d’un rendez-vous avec la vie ou d’un rendez-vous avec un proche, dans tous les cas de figure, ces ‘rencontres’, ces moments décisifs si l’on peut dire, n’ont pas lieu. Puis bien qu’ils ne se soient pas réalisés, d’une certaine manière, ils auront un impact sur le cours des existences qui nous sont ici exposées. En revanche, comme nous ne connaîtrons pas la nature de cet impact, nous sommes comme qui dirait forcés de nous en remettre à notre propre imagination.
N’ayant pas lu d’autres romans de madame Barakat, j’ignore si Courrier de nuit s’inscrit dans un tableau d’ensemble, mais s’agissant d’une lecture unique, bien que les morceaux de vies que le récit nous donne à découvrir puissent nous toucher, voire nous bouleverser, en raison de cette fragmentation imposée par la forme, il est possible qu’il laisse certains lecteurs à distance.
En ce qui me concerne, en dépit de l’intérêt suscité, je dois te confier ami lecteur que ce roman m’a un peu laissé sur ma faim.
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