Né en 1943 en Manchourie, Hwang Sok-yong a grandi et vécu parmi les guerres et les conflits qui ont marqué de manière inaltérable le peuple coréen. Ces circonstances ont indubitablement contribué à former sa perspective du monde, de même qu’elles ont nourri son œuvre. Ecrivain engagé, ses romans témoignent de ce qu’il a observé et vécu ainsi que des préoccupations politiques, sociales et philosophiques découlant de ces expériences.
The Ancient Garden/The Old Garden1
Traduit du coréen par Jay Oh
Picador (2009)
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Publié en 2000 et adapté pour le cinéma en 2006 par Im Sang-soo, The Ancient Garden est en quelque sorte un roman hybride car non seulement il raconte une histoire d’amour, mais il explore également le contexte social dans lequel celle-ci se déroule, une période qui fut parmi les plus marquantes de l’histoire récente de la Corée: Gwanju et les années 1980.
En 1980, Oh Hyun Woo (personnage principal du roman) est un jeune activiste qui, dans la suite des événements de Gwanju, se retrouve parmi la liste des personnes recherchées par la police. Commence alors pour lui, une existence d’homme traqué tandis que par la même occasion il devient une menace pour la sécurité de ses camarades. Réfugié à la campagne chez Han Yoon Hee, une institutrice sympathisante de la cause socialiste qui accepte de l’héberger, il éprouve de la culpabilité et supporte mal l’inaction à laquelle il est acculé si bien qu’il finit par céder à la tentation de renouer avec ses camarades. Emprisonné puis libéré dix-huit ans plus tard, c’est dans un pays et un monde méconnaissables que Oh Hyun Woo tente alors de rattraper le cours de son existence.
Mais quelle place peut bien trouver un ancien activiste ayant milité contre le régime dictatorial, dans un pays où la démocratie a finalement pris le pas sur la dictature, et où l’engagement politique a cédé la place au matérialisme inhérent à une société dominée par la consommation?
A pas hésitants, Oh Hyun Woo réintègre peu à peu ce monde transformé. Mais désorienté et allant de découvertes en désillusions, il va éventuellement hercher refuge dans cette maison de campagne où dix-huit ans plus tôt, il a vécu, l’espace de quelques mois, un moment idyllique auprès d’une femme qu’il n’a jamais pu oublier.
Décédée quelques années plus tôt, Han Yoon Hee y a laissé des lettres et des cahiers, mémoires à la lecture desquels Hyun Woo revit cette période magique de l’année 1980 pour ensuite découvrir ce que fut l’existence de celle qu’il a aimée.
C’est donc par le biais de ce duo de voix, celle de Hyun Woo et celle de Yoon Hee, ainsi que dans un ballet allant entre présent et passé, que le récit, outre le parcours et les réflexions des protagonistes, nous fait traverser une vingtaine d’années d’histoire de Corée.
Hwang Sok-yong puise sans doute dans son passé et ses expériences pour donner vie et vraisemblance au personnage de Hyun Woo; le ton est juste, les descriptions sont remarquables de précision et l’on sent les émotions se profiler derrière les mots.
Mais peu à peu, cette voix s’efface derrière celle de Yoon Hee qui, lorsqu’elle apprends la sentence, lorsqu’elle réalise qu’elle ne reverra plus Hyun Woo, adopte un ton distant et une personnalité pour le moins évanescente.
C’est probablement dans le but de refléter le revirement de situation auquel elle doit faire face, de même que pour montrer la distance éloignant peu à peu les deux amants, que l’auteur inflige à Yoon Hee un tel changement. Mais ce choix n’est pas sans conséquences car à la longue, la crédibilité du personnage s’effrite et tandis que la jeune femme apparaît de plus en plus comme un être superficiel et inconséquent, il devient difficile de croire qu’il s’agisse de la même personne qu’au début du récit et l’histoire qu’elle nous conte, -une histoire porteuse de nombreux éléments appartenant tant à l’intrigue qu’au développent thématique-, finit par paraître convenue.
Au surplus, comme cette partie du récit donne plus ou moins précédence à la voix de Yoon Hee, l’équilibre narratif initialement instauré sur la base d’une alternance des voix et des points de vue est alors rompu si bien que l’on se demande si l’histoire n’est pas en train de s’éloigner du cadre du roman.
En dépit de ces faiblesses, The Ancient Garden reste un ouvrage de bonne facture, un roman à saveur sociologique qui, tout en explorant certains aspects de l’histoire et de la société coréenne, livre une réflexion pertinente sur le thème de l’engagement politique.
- Ce roman a été publié en Grande-Bretagne sous le titre ‘The Ancient Garden’ et aux Etats-Unis sous le titre ‘The Old Garden’. Le titre de l’édition française est ‘Le vieux jardin’.
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The Guest1
Traduit du coréen par Kyung-ja Chun et Maya West
Seven Stories Press (2007)
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Publié peu de temps après The Ancient Garden, et s’inscrivant également dans le cadre d’événements ayant marqué l’histoire de Corée, The Guest , un roman initialement présenté sous forme de feuilleton par un journal coréen, a été récompensé par le prix Daesan2 en 2001.
S’inspirant de faits réels ainsi que de quelques témoignages recueillis par l’auteur, The Guest raconte l’histoire du Révérend Ryu Yosop, un nord-coréen expatrié aux Etats-Unis qui, peu après le décès de son frère aîné, part visiter son pays natal pour la première fois après quelques décennies d’exil. A l’aube du troisième millénaire, c’est un véritable voyage vers le passé qu’il s’apprête à effectuer, un voyage au cours duquel Yosop va redécouvrir son pays, renouer avec certains amis et membres de sa famille ainsi que revisiter un épisode de sa vie et de l’histoire de la Corée. Mais contrairement à de nombreux nord-coréens, Yosop va tenter pour sa part de regarder l’horrible réalité en face pour en exorciser la douleur et le ressentiment espérant ainsi pouvoir finalement cheminer vers le pardon.
Partant des Etats-Unis le récit nous emmène dans la province de Hwanghae3 où peu à peu nous découvrons un visage méconnu de la Corée du Nord tandis qu’en parallèle, il nous transpose dans les années 1945-48 au moment où, divisés par leurs idéologies et allégeances respectives, villes, villages voire familles se sont déchirés, allant jusqu’à commettre l’irréparable, pour se retrouver éventuellement écartelés, séparés par une frontière, une frontière qui, bien plus que géographique, ne se laissera plus si aisément traverser.
Abordant sous de multiples points de vue les événements ayant marqué cette période, le récit tend à démontrer qu’en période de conflit, personne n’est totalement innocent et chacun des acteurs, quelle que soit sa position, tient sa part de responsabilité. Ainsi, au-delà du blâme ou de la culpabilité, au-delà du bien et du mal, Yosop tente de naviguer sur une fragile et illusoire ligne de neutralité. Puis, ça n’est qu’assisté par un discours trempé de bons sentiments, qu’il se hasarde à aborder le sujet de la réconciliation, un procédé dont l’évidente volonté de ne fâcher personne témoigne de la délicatesse du sujet.
Constitué de douze chapitres subdivisés en séquences marquant les nombreux changements de temps et de perspectives, le roman offre un bon confort de lecture, mais les voix narratives étant trop similaires dans le ton il est facile de se méprendre. En outre, un nombre conséquent de personnages (notons ici que l’inclusion d’une liste aurait pu s’avérer utile), ainsi qu’un contexte et un fond historique auxquels certains lecteurs seront confrontés pour la première fois, sont autant d’aspects appelant à une lecture attentive.
Mais en dépit et grâce à une conception relativement complexe, ce roman atteint un équilibre exceptionnel entre la narration, la construction, l’intrigue et le sujet. Riche tant sur le plan historique que culturel, mais se prêtant mal aux pirouettes littéraires, il dévoile, au gré d’une traduction incertaine4, une prose calibrée à la mesure des situations décrites, des objectifs ainsi que des effets visés.
Un roman d’une qualité remarquable donc, offrant un regard éclairant sur un aspect parmi les moins connus de l’histoire de Corée, à savoir le rôle joué par les coréens dans le processus ayant mené à la division du pays, The Guest possède de nombreux atouts lui permettant d’occuper une place de choix parmi les œuvres de littérature coréenne.
Notes:
1.Titre de l’édition française: L’invité.
2.Le prix Daesan compte parmi les plus prestigieux des prix littéraires décernés en Corée du Sud.
3.Située au nord-ouest de la Corée, la province de Hwanghae fait partie des huit provinces qui composent ce pays depuis la période Joseon. Lors de la partition, elle tomba sous l’administration effective du gouvernement de la Corée du Nord, un état de fait non reconnu par le gouvernement de la Corée du Sud.
4.Ce commentaire réfère à la traduction anglaise du roman.
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