Ibrahim al-Koni

Les Mages

Titre original : al-Majous (1990-91)

Traduit de l’arabe vers le français par Philippe Vigreux

Editions Phébus (2005)

On ne peut pas dire que de la Libye émanent une foule d’écrivains ou même d’œuvres qui, déployées ou non à travers le monde seraient universellement connues. Non. Au contraire, parmi les sphères occidentales du moins, on entend plutôt rarement parler de littérature libyenne. S’il est une figure qui en soit la digne représentation, c’est bien sûr à Ibrahim al-Koni que l’on pense. Né en Libye il a grandit au sein d’une tribu Touareg, mais destiné à d’autres cieux, Ibrahim al-Koni, aujourd’hui installé en Suisse, exerce le double métier de journaliste et d’écrivain. Polyglotte, il écrit essentiellement en langue arabe. Avec une soixantaine d’ouvrages (roman, nouvelles, poésie, articles et essais) à son actif dont certains traduits en plusieurs langues, il tient place parmi les plus importants représentants de la littérature arabophone.

Bien que considéré par certains comme étant la pièce maîtresse de son œuvre, étant donné son caractère insolite, ‘Les Mages’ n’est sans doute pas le plus accessible ni le plus connu ou lu de ses écrits. Mais l’attrait étant parfois plus fort que la raison, sachant que le résumé proposé par l’éditeur n’annonçait pas de difficulté particulière, j’ai fait le saut et à tort ou à raison je me suis lancée sans plus d’introduction à l’œuvre d’al-Koni, dans ce roman qui, pour une première approche s’est avéré, du moins au début, relativement déconcertant.

Si dès l’abord, j’ai été séduite, voire envoûtée par la poésie du verbe, transportée au fil des phrases dans ce contexte mystérieux qu’est le grand désert, à mon grand désarroi, au bout d’un certain nombre de pages, je me suis sentie perdue.

Qui est qui? De quoi parle-t-on au juste? A quelle époque sommes-nous?

Autant de questions qui m’ont incitée à mettre en doute la qualité de ma lecture et/ou ma compréhension de ce que j’avais lu. J’ai donc dû retourner en arrière pour relire certains passages et puis d’autres encore, puis j’aurai effectué quelques recherches afin de tâcher trouver quelques repères historiques, culturels ou autres. En vain.

Entre la confusion suscitée par l’usage de termes par trop génériques qui ont l’heur de brouiller l’identité des personnages, ainsi que par un marquage du temps et un enchaînement d’événements plutôt vague pour ne pas dire tortueux, en passant par une intuition m’indiquant que l’auteur ait délibérément cherché à brouiller les pistes, j’ai donc décidé de poursuivre ma lecture, anticipant que les zones d’ombres s’éclaireraient au fil de mon avancée.

Ainsi, si l’histoire de cette tribu nomade qui, campée près d’un puits assiste à l’arrivée d’une caravane, laquelle éventuellement s’établira et contrôlera l’accès au puits, peut sembler relativement facile à appréhender, la manière dont s’y prend al-Koni pour la raconter, pour lui donner du relief et de la substance, est si inhabituelle, si inusitée qu’on s’en trouve désorienté. Du moins est-ce le cas au début du roman car éventuellement, au fil de la lecture, les choses vont peu à peu rentrer dans l’ordre.

Ainsi il est difficile de dire dans quelle mesure la traduction, ou un éventuel faussé culturel et linguistique, ou encore quelques maladresses  ainsi que les intentions de l’auteur aient pu, d’une manière ou d’une autre contribuer à produire un tel effet.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas impossible qu’au-delà d’une écriture qui en rend admirablement compte, cherchant à susciter chez le lecteur, plus que des images, des sensations, jonglant habilement avec les notions de temps, de lieu et d’identité, Ibrahim al-Koni ait tenté de susciter chez le lecteur ce que l’on éprouve lorsque l’on se retrouve face au désert.  

Ainsi, tout en établissant les bases du récit principal, dans un premier temps, ‘Les Mages’ nous immerge dans ce lieu mythique qu’est le désert. Puis une fois cela fait, une fois nos repères déroutés, le roman nous introduit alors et s’attache aux pas de ceux/celles qui évoluent dans ce contexte.

Derviche, cheikh, sultan, chef de clan, héraut, princesse ou commerçant autour desquels évoluent imam, esclave, devin/devineresse, conquérant et ennemi venus d’outre-désert, djinn, berger/bergère, ou encore esprit des ancêtres, etc., qu’ils soient nobles ou vassaux, hommes ou femmes, on découvre au long du récit comment, entre la matérialité de l’existence et les grandes questions qu’elle pose, tous sont confrontés à l’incontournable loi du désert.

Puis à travers ces multiples existences, opposant nomadisme et sédentarisme, le roman illustre et explore sous divers angles, y compris celui de la spiritualité, le thème de la liberté.

Déroutant à prime abord, si tant est que l’on soit disposé à lâcher prise et à perdre ses repères, puis si tant est que l’on soit disposé à souffrir les impairs auxquels peuvent donner lieu la traduction d’un tel ouvrage, c’est un roman qui s’avère fascinant et qui ne manque pas d’ouvrir de multiples avenues de réflexion.

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