Diadorim
Titre original : Grande Sertão : Veredas (1956)
Traduit du portugais (Brésil) vers le français par Maryvonne Lapouge-Pettorelli
Albin Michel (1965/1991)
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‘Cet air qui me fouettait le corps me parla avec des cris de liberté. Mais la liberté – je parie – n’est encore que la joie d’un pauvre petit chemin, frayant entre les grilles d’énormes prisons.’ (p.324)
Chef-d’œuvre de la littérature brésilienne, le magnum opus et unique roman publié par João Guimarães Rosa aura constitué pour moi une découverte aussi inattendue qu’extraordinaire.
Certes, de prime abord, dès les premières phrases, je me suis sentie dépaysée si bien que j’ai eu du mal et j’ai mis du temps à entrer dans le roman. Au-delà de la nécessité de me mettre en phase avec le livre, le cadre étranger, la toponymie, la narration qui, évoquant une langue parlée très typée, habille le récit d’un manteau particulier, la prose composée de mots avec lesquels l’auteur jongle en toute liberté jusqu’à constituer un foisonnement d’images et de sonorités, les nombreux anthroponymes et leur signification, sans compter la faune et la flore, m’ont laissée pantoise. Mais une fois ces éléments apprivoisés, une fois engagée, si l’on peut dire, sans m’en rendre compte, j’ai peu à peu été soulevée et emportée par une espèce de courant à la fois doux et puissant.
Le récit s’ouvre de but en blanc au milieu d’un monologue tenu par un individu s’adressant à un auditeur qui ne se manifestera jamais au cours du récit mais dont la présence influe sans-doute sur la manière dont le narrateur choisit de se raconter. Répondant à quelques interrogations, en l’espace de quelques jours, Riobaldo raconte ce que fut sa vie et ses aventures, et confie ses doutes et ses interrogations à cet homme, un médecin de passage, dont nous ne savons rien mais qui, on le devine, pourrait bien être l’alter ego de l’auteur1.
Autrefois jagunço2, aux côtés de son fidèle ami Diadorim, Riobaldo alias Tatarana alias Crotale-Blanc aura parcouru, tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt sous la commande d’un chef, tantôt à la tête d’une armée de fidèles combattants, tous les chemins traversant le vaste territoire du Grand Sertão3, pour s’y livrer, sous la commandite de quelque fazendeiro (grand propriétaire terrien), à une forme de protection et de justice telle qu’elle fut pratiquée dans ces régions sur la fin du XIXe et au début du XXe.
Vivant à la belle étoile et bien souvent au petit bonheur la chance, Riobaldo raconte les affrontements et dépeint une existence d’hommes où la camaraderie, le courage et l’honneur sont des valeurs essentielles, une existence menée au sein d’une nature fascinante, sauvage, contrariante et surtout imposante, ainsi qu’au gré d’un destin sur lequel dieu, le diable, ou les deux ,ou aucun d’eux, semble veiller.
‘On se recroquevillait dans le froid, on entendait la rosée, le bois plein de senteurs, le crépitement des étoiles, la présence des grillons et le poids des cavaliers. L’aube pointait, cette entre-lueur de l’aurore, quand le ciel blanchit. Et à mesure que l’air devenait gris, les contours des cavaliers, ce flou, se précisaient.’ (p.135)
Roman d’aventure rappelant les grandes épopées du Far West, c’est aussi un roman sur l’amitié et l’amour, sur les chemins que nous empruntons au cours d’une vie, sur le bien le mal et la conscience, et plus encore ; un roman empreint de poésie, d’images et de jeux de mots, narré sans interruption livré dans une langue réinventée et méticuleusement traduite par M. Lapouge-Pettorelli4 ; un roman évoluant avec un tel souffle, qu’il semble avoir été écrit d’un seul trait.
Une fois le récit terminé, il est difficile de s’en détacher, de s’en séparer et d’enchaîner avec un autre livre. Ca n’est pas peu dire. Ce roman est exceptionnel.
Notes :
1.João Guimarães Rosa a lui-même pratiqué la médecine de campagne dans l’état du Minas Gerais (Nord-est du Brésil), région où se déroule l’action du roman. Il se serait inspiré de ce que cette expérience lui donna à voir pour composer son œuvre.
2.Jagunço : homme de main, justicier, etc.
3.Grand Sertão : arrière pays situé dans une zone semi-aride du Nordeste brésilien.
4.Antérieure à celle-ci, une traduction réalisée par Jean-Jacques Villard fut proposée aux lecteurs francophones dès 1965.
5.Soulignons que le roman a fait l’objet en 1985 d’une adaptation télévisée réalisée et présentée en 25 épisodes par la chaîne brésilienne Rede Globo.
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