Jon Fosse – Septology

Tel que le titre l’indique, composé de sept parties, ce roman qui, dans sa version originale compte environ 1250 pages, se décline en trois volets. En version anglaise, le premier volet ‘The Other Name’ est paru en 2019, ‘I is Another’, le second volet est paru en 2020 et ‘A New Name’ le dernier volet, est sorti en 2021.  Les commentaires publiés ci-après, ont été rédigés au fur à mesure de ma lecture c’est-à-dire immédiatement après que j’aie terminé chacun des volumes respectivement.

The Other Name – Septology I-II

Titre original: Det Andre Namnet – Septologien I-II

Traduit du norvégien vers l’anglais par Damion Searl

Fitzcarraldo Editions (2019)

Il est bien sûr difficile de faire état d’un roman dont on n’a lu (environ) que le tiers.  A lecture partielle je ne saurai donc émettre qu’un compte-rendu partiel, du moins pour le moment, car s’il est une évidence à ce point-ci, c’est que je compte bien lire la suite et cela non seulement afin de découvrir où monsieur Fosse compte nous emmener avec cette histoire, mais également et surtout pour me laisser de nouveau envoûter par l’étrange charme de cette plume que j’apprécie toujours autant d’une lecture à l’autre.

Narré par le personnage principal, ‘The Other Name’1  nous introduit par un beau lundi de fin d’automne à l’existence d’un artiste peintre prénommé Asle. L’homme est en train d’admirer une toile qu’il achève de peindre et il réfléchit. Ce faisant, dans un va et vient entre présent et passé, entre réalité et songe, il nous entraîne dans un univers où nous découvrons cet homme qui se décrit lui-même comme un individu mature, vivant seul avec son art et menant, en milieu rural, une existence simple, habitée par ses souvenirs, ses images intérieures, ses couleurs, ses ressentis, ses intuitions et ses réflexions qui bien souvent tournent autour de l’art et/ou de dieu.

Si certains passages sont d’un réalisme bouleversant, d’autres transportent une charge émotive à laquelle on ne peut rester insensible.

A la fois introspectif, contemplatif, onirique et étrangement troublant, on devine, sous la surface et à travers ce qui nous est raconté, l’existence de tout un monde, celui d’une vie, une vie que le narrateur dévoile par bribes, au cours de laquelle figure un second personnage prénommé Asle, sorte de double du narrateur qui semble illustrer une possibilité, une voie, une alternative à l’existence que le narrateur a choisi de mener.

Face à ces alter egos dont les histoires se confondent en une foule d’éléments communs, on devine que suivant les choix qu’il aurait pu faire au cours de sa vie et suivant la route qu’il aurait pu emprunter, l’existence du narrateur aurait pu devenir l’une comme l’autre de ces deux alternatives.

D’ores et déjà, on peut anticiper que la suite du roman pourrait bien explorer plus avant cette réflexion qui somme toute tourne autour des notions de destin, de libre arbitre et d’identité.

Sur les deux jours que couvre le récit, il se passe bien peu de choses, mais aussi insignifiante qu’elle puisse paraître, l’action sert malgré tout de moteur pour faire avancer l’histoire, pour créer une ambiance et insuffler au récit un rythme propre à soutenir l’attention du lecteur.

Passant subtilement de la première personne à la troisième personne, la narration, d’une simplicité désopilante, nous enferme dans un univers tangible dont l’étouffante subjectivité nous incite éventuellement à prendre du recul et à questionner la réalité de ce qui nous est raconté.

Hypnotique, musicale et tendrement poétique, on est comme aspiré par cette écriture, cette prose à la fois simple et magistralement maîtrisée qui évolue d’un seul trait en spirale et nous entraîne, tel un fil d’Ariane, à travers l’écheveau d’une vie, vers une destination que l’on attend avec impatience de découvrir.

Du grand art.

1.Publié en français sous le titre : ‘L’autre nom’

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I is Another – Septology III-V

Titre original:   Eg er ein annan – Septologien III-V

Traduit du norvégien vers l’anglais par Damion Searls

Fitzcarraldo Editions (2020)

Avec ce second volume qui s’ouvre sur le troisième volet de ‘Septology’, nous retrouvons le fil du récit très précisément là où nous l’avions laissé. La narration, l’ambiance ainsi que l’écriture étant à l’identique, si vive est la sensation de retrouver intact l’univers et la voix de ce personnage dont l’histoire va continuer de nous être dévoilée, que l’intervalle de temps entre la lecture du premier et celle du second volume semble n’avoir jamais eu lieu.

L’auteur poursuit donc dans la veine entamée, sur un fil narratif qui va et vient entre présent et passé, explorant plus avant l’histoire de Asle tout en développant simultanément celle de cet alter ego du personnage principal dont nous avons fait la connaissance au cours des deux premiers volets.

Bref, le récit reprend où on l’avait laissé soit dans la nuit du mardi au mercredi, alors qu’à l’issue de quelques allers retours en ville et de quelques nuits malmenées, Asle est enfin de retour chez lui où il tente de se poser et de se reposer. L’automne a cédé le pas à l’hiver, l’exposition annuelle des toiles peintes en cours d’année ne devrait plus tarder à ouvrir et les repas partagés en cette saison avec son fidèle voisin Åsleik sont au programme. Au fil du quotidien, outre ces événements, les pensées de notre homme vagabondent et nous entraînent sur la trace de l’adolescent puis du jeune homme qu’il fut, évoquant au passage diverses personnes, dont Ales, sa compagne décédée, et réfléchissant tantôt à l’art, tantôt à dieu. Le récit se referme le jeudi soir, sur une scène qui ne manque pas de susciter quelques interrogations si bien qu’on attend vivement de pouvoir lire la suite.

En deux tomes et près de sept cent pages, quatre jours se sont écoulés, au cours desquels au gré d’un quotidien relativement routinier, cet homme qui aborde la soixantaine, nous aura fait partager, non seulement ses réflexions et ses interrogations, mais également, parmi ses souvenirs épars, les principaux événements qui ont marqué le  premier tiers de son existence et ont en quelque sorte façonné l’homme qu’il est devenu.

Cette intimité avec la pensée, avec la vie intérieure d’un homme nous est dévoilée d’une manière extraordinairement réaliste, au moyen d’un langage simple et d’une narration maîtrisée qui tous deux sont admirablement servis par cette plume toujours très stylisée que Jon Fosse sait si bien manier.

Ainsi, en dépit de l’absence d’intrigue et en dépit d’une légère propension à (trop) revenir sur sujet de la foi, j’ai encore une fois été happée tant par la prose que par l’univers de ce personnage au gré desquels je me suis laissée entraîner sans effort.

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A New Name – Septology VI-VII

Titre original:   Eit nytt namn – Septologien VI-VII

Traduit du norvégien vers l’anglais par Damion Searls

Fitzcarraldo Editions, 2021

Suite et fin de ce roman en sept parties dont la lecture, rythmée suivant la publication de chacun des volumes, se sera étalée sur un peu moins de deux années. Qu’à cela ne tienne, tel que noté plus haut, malgré l’intervalle de temps séparant les parutions, je suis entrée à nouveau dans ce récit comme si je l’avais laissé la veille et arrivé à ce point-ci du roman, compte tenu de la forme épousée par les précédentes parties, compte tenu également de l’évolution qu’aura exhibé le récit, une fois arrivé au dernier livre donc, j’avais d’ores et déjà une idée plus ou moins précise de ce qui m’y attendait. Malgré cela, malgré les attentes, avant d’ouvrir le livre, il me tardait de connaître l’issue de ce voyage dans lequel je me suis docilement laissé entraîner.

Nous retrouvons donc Asle quelque part dans la nuit du jeudi au vendredi 22 décembre, soit quelques jours avant la fête de Noël, devant cette toile sur laquelle il a récemment travaillé et qu’il hésite à ranger parmi les ‘œuvres achevées’. Ce faisant, ses pensées vagabondent toujours et retrouvent peu à peu leur cours habituel, allant de l’art à l’existence et à la nature de dieu, de même qu’elles reprennent éventuellement ce mouvement de va et vient entre présent et passé, alternant entre sa vie d’aujourd’hui, son quotidien, ses projets, et ses souvenirs du temps où jeune homme il faisait ses débuts en tant qu’artiste et rencontrait les personnes qui furent marquantes, etc.

Plongé dans ses réflexions, oublieux des trivialités du quotidien et de la vie qui suit son cours, Asle semble s’éloigner, se détacher de la réalité et du monde, pour mieux s’enfoncer dans son monde à lui.

Ces deux derniers volets vont donc compléter le portrait et l’histoire de cet homme ainsi que ceux de ses proches, notamment de son alter ego, cet autre peintre qui lui ressemble mais dont l’existence aura prit une tangente différente, le tout pour s’achever sur une conclusion qui ouvre la voie à la réflexion.

Ainsi, une fois le livre terminé, outre les réflexions engendrées, je me suis demandé comment, par quel tour de magie, Jon Fosse est parvenu à maintenir intacte mon attention, mon intérêt à lire, ma fascination, tout en me servant une intrigue aussi simple.

Certes, l’écriture, la prose et l’esprit animant cette écriture y sont pour beaucoup. A la fois hypnotique, musicale, intimiste et dénuée d’artifice, cette écriture a quelque chose d’intimiste, d’humainement vrai, de naturel et d’universel.

Mais à cela vient également s’ajouter la grande question que pose et qui traverse le récit, à savoir celle du sens, de la signification d’une existence, du ‘pourquoi sommes-nous au monde’, question aux côtés de laquelle l’auteur explore entre autres thèmes celui de l’identité.

A cet égard, si l’on s’attarde un peu sur les titres de chacun des trois livres ainsi que sur les épigraphes qui les soulignent et qu’on en examine le sens,

The Other Name: ‘And I will give him a white stone, and on the stone a new name written, which no one knows except him who receives it’. (Revelation) /‘Dona nobis pacem’. (Agnus Dei);

I is Another: ’Je est un autre’. (Arthur Rimbaud) ;

A New Name: ’Just a fool! Just a poet!’ (Friedrich Nietzsche in : Dionysos Dithyramben);

on peut voir qu’ils expriment assez bien comment, via l’angle adopté pour chacun des livres ainsi que la progression suivie d’un livre à l’autre, comment oscillant entre psychologie et philosophie et tout en faisant appel à une certaine conception de la spiritualité, l’auteur entend explorer ces thèmes.

Sans trop m’attarder sur ces éléments, disons que globalement on peut dire que c’est à une réflexion sur ce que nous sommes, une réflexion sur la nature de l’être que Jon Fosse nous convie à travers ce simple récit d’une vie, un récit qu’il nous livre avec une extraordinaire justesse.

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