The Sound of Things Falling1
Traduit de l’espagnol vers l’anglais par Anne McLean
Bloomsbury Publishing (2013)
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Quand on pense à la littérature colombienne, on pense bien évidemment aux grandes pointures, et suivant le point de vue d’où l’on se place, on peut également penser à ceux des auteurs vers lesquels les projecteurs médiatiques sont tournés. Dans un tel contexte il n’est pas simple pour un auteur appartenant à la génération montante, de se tailler une place, de se faire connaître et reconnaître par les pairs et/ou par un lectorat quel qu’il soit.
Né en 1973, Juan Gabriel Vásquez fait donc partie de cette ‘nouvelle génération’ d’écrivains colombiens qui, sortant petit à petit de l’ombre tracée par leurs prédécesseurs, ont su trouver la recette pour séduire les uns et les autres, et plus particulièrement, un lectorat contemporain dont les exigences s’inscrivent dans une réalité qui lui est propre.
Considéré comme la plus connue des œuvres publiées par monsieur Vásquez à ce jour2, ‘The Sound of Things Falling’, prend appui sur une période récente et un aspect bien connu de l’histoire de la Colombie pour développer en filigrane du récit une réflexion portant sur les retombées que peuvent avoir certains événements sur l’existence de ceux et celles qui, sans véritablement y prendre part, n’en subissent pas moins les contrecoups. Un fond thématique particulièrement intéressant, ne serait-ce que par son caractère universel et intemporel.
Le roman s’ouvre sur une scène et un sujet qui a réellement fait la manchette en 20093, une nouvelle qu’Antonio Yammara découvre en lisant les journaux et qui relate de l’euthanasie d’un hippopotame, animal échappé du zoo faisant partie de la Hacíenda Nápoles, propriété du défunt milliardaire et baron de la drogue, Pablo Escobar.
Evoquant chez le narrateur le souvenir d’une époque qui, par son caractère violent, aura marqué sa jeunesse, en même temps qu’elle éveille le souvenir d’événements subséquents ayant laissé une trace indélébile dans son histoire personnelle, cette information incite donc Antonio à revisiter son passé pour tenter clore et conclure une bonne fois pour toutes ce chapitre de sa vie.
Nous entrons ici dans le second volet du récit et passons de l’année 2009 à l’année 1996, soit à l’époque où, diplômé depuis peu, le narrateur entame une carrière d’enseignant en droit. Tandis qu’il fréquente puis se rapproche de la belle Aura, une de ses anciennes élèves, Antonio, habile joueur de billard, passe ses temps libres dans une salle de jeu où il fait la connaissance de Ricardo Laverde. Quarantenaire dont l’apparence émaciée trahit les longues années passées en prison, Laverde se présente comme un homme énigmatique et réservé. Antonio sait encore peu de choses au sujet de son camarade de jeu lorsque celui-ci est abattu sous ses yeux. Lui-même touché par une balle dont il ignore l’origine et la raison d’être, Antonio devra composer avec une blessure, un traumatisme et une énigme qui porteront sérieusement atteinte à son équilibre et à sa vie privée. C’est en tentant de comprendre ce qu’il vit et reprendre le contrôle sur son existence que le jeune homme est amené à investiguer l’histoire et le passé de Ricardo Laverde.
Partant de Bogota, le troisième volet du récit nous emmène à La Dorada, soit à moins de 200km de la capitale dans une région agricole qui d’ailleurs est fort joliment décrite par l’auteur. C’est depuis ce lieu et par le biais de lettres et autres documents auxquels Antonio a accès que nous allons entrer dans la vie de Ricardo Laverde. Après un bref détour dans les années 1930, nous passons en 1969 au moment où, pilote d’avion en devenir Ricardo fait la connaissance d’Elaine Fritts. Séduisante étatsunienne séjournant en Colombie dans le cadre d’une mission des Corps de la Paix (Peace Corps), Elaine tombe peu à peu sous le charme d’un Ricardo qui n’a d’yeux que pour elle. Au fil des mois et des années qui vont suivre, nous découvrons l’histoire de ce jeune couple qui sera brusquement interrompue par l’arrestation de Ricardo en 1976.
Revenant ensuite aux années 1990, nous retrouvons Antonio qui à la lumière des documents dont il vient de prendre connaissance ainsi que suite à quelques échanges avec une jeune femme appelée Maya, finira par trouver/donner un sens à l’expérience qu’il a vécue.
A travers l’histoire et l’évolution de ces personnages, nous est dévoilée celle de ces paysans Colombiens qui, pour survivre, se sont laissé convaincre, aux alentours des années 1960, de s’investir à la culture du cannabis et/ou de la coca. Plus discrètement évoquée, la montée en puissance des Cartels dans le sillage desquels évolue l’état de violence qui marqué toute une génération de colombiens. Complétant ce portrait, le récit fait également allusion au rôle joué dans ces circonstances par les Etats-Unis et/ou certains de ses ressortissants.
Comportant trois volets principaux, évoluant sur trois époques différentes et adoptant deux modes narratifs (‘je’ et ‘il’) ainsi qu’au moins trois perspectives (Antonio, Ricardo, Elaine), ‘The Sound of Things Falling’ se présente sous une forme moyennement complexe.
Assez bien conçue et bien ficelée, l’histoire est par ailleurs habilement contée dans un premier et un second temps par un Antonio Yammara dont la voix et le point de vue personnel contribuent substantiellement à la crédibilité et au réalisme du récit. Inversement, le troisième volet, quoique captivant, m’a semblé plus faible, non seulement en raison d’un sentiment persistant de ‘déjà lu’, mais également par un manque de cohérence entre le contexte et le contenu. En effet, cette partie du récit étant construite sur la base de documents papiers lus par Antonio (adoptant par ailleurs la perspective de Ricardo puis celle d’Elaine), déborde largement, en termes de précisions et de détails, les limites propres aux sources d’où elle est tirée.
Quant aux personnages, exception faite d’Aura, une personnalité qui, parallèlement à la relation qu’elle vit avec Antonio, m’a semblé peu consistante, exception faite donc de ce personnage (et de cette relation), la plupart des protagonistes sont plutôt solidement campés, mais quelques ressemblances notables (psychologiques ou gestuelles) entre Ricardo et Antonio, puis entre Elaine et Maya, trahissent malgré tout une légère faiblesse à ce niveau.
Cela étant, tracé avec réalisme, ce portrait de société auquel se greffent quelques éléments typiques du roman noir, narré avec assurance et à un rythme n’en cédant pas à l’ennui, de même que servi par une prose efficace (quoique, notons-le, dénuée de toute complexité linguistique ou stylistique, dénuée également (du moins dans sa traduction anglaise) de toute spécificité culturelle), ‘The Sound of Things Falling’ réunit bien tous les ingrédients propres à séduire la moyenne des lecteurs.
Un roman qui se laisse fort agréablement lire donc, mais s’il ouvre des pistes de réflexion sur un thème qui, à l’heure où j’écris ces lignes, touche un nombre croissant d’individus, l’étroitesse du champ couvert ainsi que la simplicité presque naïve des conclusions proposées risquent de laisser quelques lecteurs sur leur faim.
Notes
- Titre original: El ruido de las cosas al caer. Titre français: Le bruit des choses qui tombent.
- Lauréat du prix Afaguara (Madrid) 2011, du Premio Gregor Von Rezzori (Italie) 2013, ainsi que de l’International Impact Dublin 2014.
- Voir entre autres ‘Hippopotames de Pablo Escobar’ in Wikipedia.
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