Julio Cortázar

Tous les feux le feu

Traduit de l’espagnol par Laure Guille-Bataillon

Gallimard (1970)

Publié pour la première fois en 1966, alors que l’auteur compte déjà de nombreux admirateurs, ‘Tous les feux le feu’ est un petit recueil réunissant huit nouvelles par le moyen desquelles j’ai souhaité m’introduire au travail de Julio Cortázar.

Tantôt ciselées dans la forme ou jouant sur le mode narratif, taillées sur mesure et techniquement fignolées, ces nouvelles, tout en oscillant entre réel et surréel, ne manquent pas de variété et d’originalité.

Partant dans la plupart des cas d’une situation courante, d’une observation ou d’un fait anodin, les histoires évoluent, le plus souvent au fil d’une intrigue plutôt simple, dans une direction ou d’une manière débordant graduellement le possible, l’usuel, l’entendu, pour verser tout doucement dans l’inattendu, l’improbable, le surréel.

Ainsi, dans ‘L’autoroute du Sud’ un embouteillage s’avère si tenace que les pauvres victimes de cette situation y restent bloquées pendant plusieurs semaines. 1

Dans ‘La santé des malades’, à force du temps un mensonge pieux a si bien pris place dans le quotidien d’une famille qu’il en vient à leur paraître réel. 2

Dans ‘Directives pour John Howell’ nous sommes témoins d’une moment, d’une circonstance où la fiction parvient subrepticement à déborder de son cadre pour s’inscrire dans la réalité des personnages.

Dans ‘L’île à midi’ ou dans ‘L’autre ciel’, les rêves, les souvenirs ou les songes par le biais desquels les protagonistes fuient un quotidien monotone prennent peu à peu une telle consistance qu’ils finissent par troubler l’existence des protagonistes.

Grâce à une conception soignée où mises en situation et narration exhalent une solide crédibilité ainsi qu’à une prose adoptant une posture naturelle, éventuellement et presqu’à notre insu, nous traversons ici ou là les limites du possible.   Ainsi, Paris, Buenos Aires, Rome, la mer d’Egée, Londres et Cuba mis en scène à des époques qui se laissent deviner et où évoluent une variété de personnages souvent succinctement décrits, prennent forme sous nos yeux avec une authenticité qui déborde jusque dans les angles surréalistes marquant ces récits.

Outre ce style singulier derrière lequel on devine une belle richesse créative, abordant divers sujets, ces nouvelles, au fur à mesure qu’elles évoluent, laissent peu à peu se profiler le fil d’une réflexion qui, se déployant d’une manière subtile, teinte les récits d’une petite touche d’esprit.

Soulignons enfin qu’à l’exception de quelques aménagements d’ordre pratique ainsi que la (malencontreuse) ‘traduction’ des prénoms de certains des protagonistes, la version française proposée par Laure Guille-Bataillon (après brève vérification) m’a semblé plutôt fidèle à l’original.

De la belle ouvrage qui se laisse apprécier sans modération.

Notes:

  1. Notons que cette nouvelle a été adapté pour le cinéma en 1979 par Luigi Comencini et Juan Luis Buñuel. En version française, le film est paru sous le titre ‘Le grand embouteillage’.
  2. Soulignons que cette nouvelle fut adaptée pour la télévision, le théâtre ainsi que pour le cinéma (Mentiras piadosas, 2009).

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