Arbre sans vent
Traduit du chinois par Annie Curien
Editions Philippe Picquier (2000)
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C’est sans doute parce qu’il s’intéresse principalement au monde rural, que Li Rui est généralement classé parmi les écrivains dits ‘des racines’. Fort bien, mais tel qu’il l’expliquait dans une entrevue accordée en 20081, son travail ne s’accorde pas tant à dépeindre le peuple chinois qu’à lui donner une voix.
C’est d’ailleurs dans cet optique que cet auteur né en 1950 s’intéresse à la langue, et plus précisément, au langage par lequel sa plume peut donner la parole aux hommes et aux femmes, adultes et enfants, vivants et morts, au vent, aux animaux et à tout ce qui participe de cet univers où vivent la grande majorité des chinois.
‘Les étoiles du ciel sont d’un coup tombées dans mes yeux.’ (p.40)
A cet effet, ‘Arbre sans vent’, second roman (et seul ouvrage disponible en français) publié par Li Rui, constitue un bon exemple de ce qu’il tente d’accomplir.
Dans ce roman multi-voix et multi-perspectives, composé à raison d’une voix par chapitre, il raconte l’histoire d’un village éloigné situé dans la province du Shanxi pendant la révolution culturelle. On est sur la fin des années 1960, à une époque où face au peuple que l’on tente d’assainir, les représentants régionaux du régime sont doublés, voire confrontés, par les “zhiqing”, des jeunes envoyés dans les campagnes qui, en plus d’être frais sortis de l’école, n’ont pas connu la révolution ou la guerre, et représentent ainsi le ‘renouveau’, voire l’avenir du communisme chinois (une génération dont fait partie Li Rui ).
D’un chapitre à l’autre, une quinzaine de voix se relaient et dépeignent ainsi sous divers points de vue, l’existence et l’expérience que traverse cette petite communauté fictive appelée ‘village des Nains’. Si cette forme narrative n’est pas sans rappeler celle utilisée par W. Faulkner dans ‘Tandis que j’agonise’, le roman composé par Li Rui s’en distingue cependant, cela tant par le contexte culturel que par un contenu thématique arborant ici une belle complexité.
Mettant en scène une vingtaine de personnages à la personnalité bien tracée, c’est en grande partie par le biais des interactions entre ces individus, que le roman expose les contradictions et incohérences du régime de Mao, ainsi que leurs conséquences sur l’existence des hommes.
“… et d’ailleurs il y a aussi cet avorton de Kugen qui s’obstine du matin au soir à combattre l’un et à critiquer l’autre, pour obtenir des résultats. Depuis son arrivée, nous n’avons pas eu un seul jour de tranquillité au village des Nains, nous devons creuser des canaux, aménager des champs en terrasses à la manière de Dazhai, élever scientifiquement les cochons, faire la lutte des classes… Cet avorton s’obstine à vouloir obtenir des résultats […] Oncle Boiteux dit, en m’assainissant, il obtiendra des résultats?” (p.38)
Fidèle à ses aspirations, entre les divers niveaux de langue utilisés, les flux de conscience alternant avec les dialogues et les déplacements de perspective, ainsi que l’usage de divers autres procédés littéraires, ce roman de Li Rui témoigne d’un travail linguistique et narratif de grande qualité auquel, soulignons-le, la traduction rends relativement bien justice.
S’il faut trouver une faille à ce roman, on pourra évoquer une certaine faiblesse au niveau de la description physique des personnages et du village.
Sinon, grâce à un heureux équilibre entre la forme et le contenu, ‘Arbre sans vent’ atteint un rare niveau de perfection et constitue sans doute parmi les meilleures illustrations de ce qu’aura vécu la Chine au cours de cette période.
En ce qui a trait à cette édition, soulignons la pertinence d’une liste placée au début du livre, où les personnages ainsi que les narrateurs de chaque chapitre sont identifiés, un outil qui permet de se repérer, surtout en début de lecture. Inversement, l’étonnante absence du titre original (Wu Feng Zhishi), de la date de la première publication de l’oeuvre (1996) et de la mention relative aux droits de l’auteur.
Notes:
1. Wasafiri, Issue 55, Autumn 2008.
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