Lu Xun

Né en 1881, soit peu avant la fin du règne de la dynastie Qing, Lu Xun reçut à prime abord une éducation classique. Puis, il se tourna vers les sciences naturelles et la médecine qu’il abandonna au profit de la littérature, préférant disait-il, ‘soigner l’esprit du peuple’ par le moyen de la culture. Témoin entres autres, de la chute du régime impérial, de l’occupation japonaise et de divers bouleversements, Lu Xun a évolué au milieu d’un véritable tourbillon sociopolitique. Au vu d’un tel parcours, on ne peut qu’admirer le sens d’observation doublé d’une capacité de recul dont il fait preuve pour constituer son œuvre. Poète, nouvelliste, essayiste, traducteur et éditeur, grâce à un style novateur et un esprit indépendant, il fut non seulement un leader parmi les auteurs de sa génération, mais sa contribution aux lettres chinoises est telle que son influence est encore ressentie de nos jours.

Ah Q

The real story of Ah-Q and other tales of China; The complete fiction of Lu Xun

Traduit du chinois par Julia Lovell

Penguin (2009)

Ce recueil consiste en une nouvelle édition et nouvelle traduction de l’ensemble des récits fictifs publiées par Lu Xun. La dernière version de ces récits parue en langue anglaise datant déjà de plusieurs années, cette nouvelle traduction aurait été effectuée avec l’intention affirmée de ‘mettre ces écrits à la portée du lecteur contemporain’.

Lecture accessible, s’il en est, mais à quel prix?

Il est indéniable qu’au fil du temps, le langage évolue tout autant qu’on s’entends généralement pour dire que la traduction du chinois vers une langue telle que l’anglais (ou le français) ne puisse se faire qu’au prix de quelques aménagements (ne serait-ce que pour des raisons grammaticales), ceux-ci pouvant/devant parfois aller jusqu’à nécessiter une interprétation du texte. Ainsi, s’il est justifiable de retrancher ou d’ajouter quelques termes, de reformuler certaines phrases, etc., l’exercice peut, dans certains cas, prendre des proportions pour le moins étonnantes. Lorsqu’une phrase, un paragraphe ou encore l’ensemble d’un récit ne semble plus dire tout à fait la même chose que ce que le texte d’origine exprime, ou encore que la prose n’a plus la même consistance, on est en lieu de se poser la question: jusqu’où le traducteur peut-il se permettre d’aller?

C’est précisément le genre de débat auquel m’a confronté cet ouvrage.

Après une introduction fort bien tournée, le livre s’ouvre sur ‘Nostalgia’ (En souvenir d’un passé lointain), la toute première nouvelle qu’ait composé Lu Xun en 1911. Rédigée en chinois classique, elle est ici retranscrite dans un langage fluide dont l’évidente consonance ‘gogolienne’ surprend. On sait que monsieur Lu était un grand admirateur de Gogol, et bien qu’il se soit inspiré de la nouvelle ‘Le journal d’un fou’ pour composer l’un de ses récits, on peut raisonnablement mettre en doute (quoi que cela ne soit pas impossible) le fait qu’il soit allé, en rédigeant ‘Nostalgia’, jusqu’à mimer le style d’écriture de l’écrivain russe.

Suite à cette entrée en matière, on aborde, les nouvelles initialement publiées dans ‘Outcry’ (L’appel aux armes) en 1923, ‘Hesitation’ (Errances) en 1926 et ‘Old stories retold’ (Contes anciens à notre manière) en 1935; une collection de récits que l’on découvre ici sous une plume élégante et alerte exhalant, on s’en rend bien vite compte, une énergie toute contemporaine teintée d’un occidentalisme qui encore ici, surprend.

Allant de surprise en étonnement, c’est en prenant appui auprès d’autres éditions en VO et en traduction, que j’ai pu alors constater la nature et l’envergure des aménagements effectués dans cette nouvelle traduction.

Il est vrai que le fait de reformuler un texte et d’en retirer certains éléments culturels ou linguistiques qui, soi-disant en raison de leur particularisme, risquent de confondre le lecteur non averti, sinon donneraient lieu à un volume substantiel de notes explicatives propres à ennuyer le lecteur ou encore à porter atteinte à son expérience de lecture, cela pour ensuite insérer plus loin quelques précisions propres à palier aux soi-disant carences culturelles du même lecteur, cela donne lieu, il est vrai , à un livre éminemment ‘lisible’.

C’est ainsi que finalement, l’on obtient un ouvrage à la portée d’un hypothétique lecteur contemporain, un lecteur qui se définit plus ou moins comme ‘souhaitant découvrir un morceau de littérature chinoise, mais dédaignant être confronté au-delà du minimum requis à une culture étrangère sinon à une forme d’écriture originale’.

Marketing, affaire de goût, de point de vue ou de mode, je vous laisse le soin d’en juger.

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Lu xun

Selected stories of Lu Xun

Traduit du chinois par Yang Xianyi & Gladys Yang

Foreign Language Press (1960)

Moins exhaustive que l’édition proposée par Penguin, ce livre, composé de 18 nouvelles sélectionnées parmi les trois recueils publiés par l’auteur propose ainsi un peu plus de la moitié des textes de fiction composés par Lu Xun et offre donc un bon aperçu de son talent en ce domaine. Traduits par le couple Yang dans un souci de fidélité culturelle et linguistique, traduction qui, soulignons-le, date de plusieurs décennies, ces récits sont transmis dans une langue non invasive permettant au lecteur de se glisser aisément dans l’ambiance des histoires et de se saisir, quoiqu’avec une certaine distance, de la qualité de l’écriture sinon de l’esprit dans lequel ils ont été composés.

De quoi parlent ces nouvelles? Essentiellement, elles nous introduisent aux existences d’hommes et de femmes se trouvant dans diverses circonstances tandis que par le biais de l’ironie, de la dérision, de la démonstration ou de la confidence, elles dénoncent ou mettent en question, les traditions, croyances et autres repères sur lesquels on s’appuie aveuglément pour justifier l’indifférence des uns ou la léthargie des autres, maintenant ainsi la nation dans un état de sclérose à tout le moins, navrant.

Habile conteur, l’auteur enrichit ses récits de constructions inusitées pour l’époque ainsi que d’une narration faisant l’objet de subtils jeux de perspective. Observant tantôt le monde à travers le regard d’un homme de lettres ou s’introduisant dans la peau d’un propre à rien, il dépeint, au gré des interactions, une variété de personnages et d’existences tous plus vraisemblables les uns que les autres. Ainsi, grâce à un coup d’œil lucide et épousant avec aisance de multiples perspectives, Lu Xun dresse un tableau révélateur de la société chinoise des années 1920-30.

Suivant une progression chronologique, ces nouvelles témoignent également d’une maturation du travail de l’auteur. Ainsi, tandis que les récits tirés du premier recueil publié en 1923, (L’appel aux armes) exhortent au changement tout en dénonçant la torpeur et l’indifférence dans laquelle baignent ses compatriotes, les récits qu’il publie trois ans plus tard (Errances) sont pour leur part marqués par le doute de même qu’un certain fatalisme puis les deux nouvelles tirés de ‘Contes anciens à notre manière’, concluent par des textes adoptant une teneur plus philosophique derrière laquelle on devine un certain détachement.

Bien que les récits réunis dans ce recueil soient de valeur inégale, avec quelques pièces d’une rare qualité et d’autres à l’éclat plus modeste, l’ensemble parle avec éloquence d’un pays, d’une époque et de ceux qui en ont été, et constitue une excellent survol du travail de Lu Xun.

 

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