Parmi la vingtaine de recueils de nouvelles publiés par Lygia Fagundes Telles, seule un petit nombre d’entre eux ont été traduits et publiés en français. Ci-après recensés, trois d’entre-eux: ‘La nuit obscure et moi’, ‘Un thé bien fort et trois tasses’ et ‘La structure de la bulle de savon’.
La nuit obscure et moi
Titre original : A Noite Escura e Mais Eu (Brésil 1995)
Traduit du brésilien par Maryvonne Lapouge-Pettorelli
Editions Payot & Rivages (1998)
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Publié en 1995, ce recueil de nouvelles, figure donc parmi la vingtaine d’autres publiés par l’auteure dont on espère qu’elles feront éventuellement l’objet d’une traduction, sinon une compilation.
Ayant désormais lu la plupart des œuvres disponibles en traduction pour cette auteure, n’ayant plus que ‘La nuit obscure et moi ‘à découvrir, c’est avec un brin de mélancolie que j’ai abordé cet ouvrage.
Puis tandis que je me laissais transporter dans l’univers où se déroule le premier récit, l’idée m’est venue de tenter prolonger le plaisir de lecture en m’inspirant de ces histoires pour composer quelques récits de mon cru. Cet exercice m’incitant à adopter une approche plus exhaustive de la lecture, s’il fut, à bien des égards, particulièrement instructif, aura par ailleurs eu pour conséquence d’augmenter considérablement la quantité de temps consacré à ce livre. J’ai donc mis beaucoup de temps à lire (et relire) ce recueil si bien que, faut-t-il le souligner ?, j’en conserverai sans doute un souvenir particulier.
Neuf nouvelles donc1 ayant en commun de nous plonger dans l’univers de personnages qui, confrontés à une situation particulière, y répondent suivant leurs capacités, leur jugement, leur compréhension, leurs valeurs, etc. Ces mises en situation constituent un riche et parfois complexe terreau à partir duquel, jouant sur la forme, la perspective, la narration et ainsi de suite, Lygia Fagundes Telles déploie non seulement une belle dextérité d’auteur, mais également une grande finesse d’observation.
Car il en faut pour savoir donner voix et substance à un nain de jardin, ou pour traduire la vie et les déconvenues d’un chien de cirque, puis pour entrer dans l’esprit d’une petite orpheline ou dans celui d’une femme qui tente d’appréhender ses derniers jours.
Bien que la prose soit à la fois simple et calibrée, ça n’est pas tant l’écriture qui retient l’attention ici, mais c’est surtout, je pense, la conception des récits ainsi que l’habilité avec laquelle l’auteur explore les possibilités qu’offrent les situations décrites, laissant bien souvent la charge émotionnelle ou dramatique s’immiscer entre les lignes, parmi les silences et les non-dits. A nous de voir, à nous d’interpréter.
Quoique d’intensité inégale, ces nouvelles aux tons variés, dominées pour la plupart par des personnages féminins, nous parlent d’amour, de fidélité et d’infidélité, de trahison, de déception, de mensonges, d’hypocrisie, et sommes toutes de la vie et de la mort, le tout, invariablement imprégné de cette touche d’élégante humanité que l’on retrouve dans la plupart des écrits signés par Lygia Fagundes Telles.
A déguster.
1.Soulignons que l’une d’entre elles ayant ici pour titre ‘Une blanche ombre pâle’ s’avère être une version revue par l’auteur d’un récit ayant pour titre ‘Le choix’ que l’on retrouve dans ‘Un thé bien fort et trois tasses’.
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Un thé bien fort et trois tasses
Titre original: Antes do Baile Verde (Brésil, 1970)
Traduit du brésilien vers le français par Maryvonne Lapouge-Pettorelli
Le Serpent à Plumes, 1995.
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Enthousiasmée par ‘La structure de la bulle de savon’ (voir mon compte-rendu ci-après), j’ai souhaité poursuivre dans la même veine ma découverte de l’œuvre de Lygia Fagundes Telles et c’est pourquoi j’ai choisis cet autre recueil de nouvelles, généralement plus connu que le précédent et dont la publication consacra son auteur en tant que femme de lettres.
‘Un thé bien fort et trois tasses’ réunit dix-sept nouvelles. Conçues pour la plupart entre 1958 et 1969 elles s’inscrivent dans le courant moderniste de l’après-guerre. Partant de situations courantes et souvent anodines, -histoires de couples, d’adultère, de rapports antagonistes entre divers personnages, de relations ou de parcours de vie parvenus à un point tournant, histoires de famille et de souvenirs enfouis dans un passé soudainement resurgi, etc.-, un peu comme l’araignée tisse sa toile, ces récits dessinent par petits traits le portrait d’existences arrivées à point précis de leur trajectoire. Examinant les relations humaines, c’est grâce notamment à une approche introspective et à travers des personnages dont la perspective et la psychologie sont habilement tracés qu’ils mettent en relief une variété de sentiments tels que la haine, la passion, la trahison, la déception, la tromperie, la jalousie, la cupidité, le chagrin, l’angoisse, la cruauté, etc., la plupart aisément observables, reconnaissables au sein de nos propres relations.
Tandis que les aspects culturels et temporels passent au second plan, l’intrigue s’installant dans le cadre plus intime du vécu, lieu où sur un plan ou l’autre la plupart des expériences humaines finissent par se croiser, ces nouvelles nous entraînent donc en terrain familier et nous rejoignent quelque part dans notre propre réalité.
Peu complexes mais bien conçus, c’est dans le dit et le pensé, le connu et l’inconnu, le dissimulé et le divulgué, le factuel et l’imaginé, les déplacements de perspective ou les effets d’ambiance voire les débordements à teneur surréaliste, qu’ils adoptent une nuance particulière.
Dénuée d’artifices, la prose s’accorde avec le caractère des personnages ainsi qu’avec la finesse avec laquelle l’auteur nous révèle ces petites et grandes vérités de la psychologie, des relations et des expériences humaines.
Adoptant avec une belle agilité les points de vues des divers personnages, si le point de vue féminin est assez solidement représenté, on reste dans la plupart des cas, sur une approche plus globale, non exclusive, de l’expérience humaine, chose qui par les temps qui courent, me paraît constituer un atout appréciable.
A déguster lentement, histoire de bien apprécier la sève que l’on pourra extraire de ces petites perles sans prétention.
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La structure de la bulle de savon
Titre original: Filhos Pródigos (Brésil, 1978); A Estrutura da Bolha de Sabão (Brésil, 1991)
Traduit du brésilien vers le français par Inès Oseki-Dépré
Le Serpent à Plumes, 2000 (Alinéa, 1986)
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J’ai hésité un peu avant d’aborder cette auteur car d’une part je n’en avais jamais entendu parler et je dois avouer d’autre part que son parcours très classique éveillait quelques doutes en moi. En contrepartie, étant parcimonieusement traduits, les écrits de cette grande dame des lettres brésiliennes étant peu évoqués parmi les cercles de lecteurs francophones ou anglophones, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre mais la curiosité l’emporta.
Puis, le hasard faisant parfois bien les choses, attirée par le titre un peu étrange de ce recueil, ce livre s’est avéré être pour moi l’un de ceux qui vous tombent entre les mains au moment où vous êtes le mieux à même de les apprécier.
Originalement publié en 1978, ‘La Structure de la bulle de savon’ est composé de neuf nouvelles, neuf histoires qui ont un tel caractère d’authenticité que je ne serais pas étonnée d’apprendre que certains éléments y participant ont sans doute été inspirés par les expériences personnelles et/ou professionnelles de l’auteur.
Ouvrant une fenêtre sur la culture et la société brésilienne tels que madame Fagundes Telles les aura elle-même connues et perçues, on découvre à travers ces récits divers personnages au moment où ils font face à une situation mettant à l’épreuve leurs convictions, leurs sentiments, leurs certitudes, etc. Ce sont donc des portraits à travers lesquels l’auteur met en relief, et bien souvent dénonce, certains traits de société, d’époque, de caractère ou de famille.
Teintés d’ironie, de surréalisme, d’humour pince sans rire, d’érotisme, de suspense ou de mystère, ces récits nous plongent dans une variété de situations et d’ambiances, et explorent des thèmes tels que le racisme, les inégalités sociales, la religion, la condition féminine, etc.
Citons par exemple:
‘Le médaillon’ où un schéma social et familial se dessine en filigrane de l’histoire d’Adriana, une jeune femme qui à la veille de se marier donne enfin la réplique à une mère particulièrement acariâtre.
‘Le témoin’ montre sous un jour inattendu comment l’amitié que partagent deux hommes depuis plusieurs années est mise à l’épreuve lorsque l’un d’eux commence à exhiber des signes d’instabilité mentale.
‘La messe de minuit’ , nous introduit dans un milieu feutré où délaissée par son mari, une femme tente de chercher réconfort auprès d’un jeune homme séjournant dans la famille.
‘Gaby’ illustre par petites touches l’influence qu’a eu le contexte familial dans lequel il a grandi sur la personnalité et la vie d’un peintre.
Plutôt bien conçues, assises sur un échafaudage généralement simple, si elles se laissent approcher sans difficulté, c’est au gré d’une lecture ponctuée de pauses que j’ai apprécié et pu mieux m’imprégner de ces histoires.
Tantôt narrateurs, tantôt acteurs, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, riches, pauvres, les personnages sont variés. Leurs expériences faisant l’objet d’une attention particulière, leur personnalité est par conséquent soigneusement tracée.
Passant avec aisance d’un point de vue masculin à un point de vue féminin, Lygia Fagundes Telles est de ces auteurs qui semblent s’intéresser avant tout à la condition et à l’expérience humaine tel qu’elle s’exprime dans un contexte donné. Ainsi, lorsqu’elle aborde la dimension/condition féminine à travers l’un ou l’autre des personnages, c’est sans pathos et avec une finesse et une justesse que l’on ne rencontre pas souvent.
En phase avec la voix narrative, tantôt simple tantôt plus sophistiquée, rehaussée d’images et de formules soigneusement conçues, la qualité et le style de la prose exhibant par ailleurs une grande disparité d’un texte à l’autre, chose qui m’a laissée perplexe, sont difficiles à appréhender.
L’ensemble dévoilant une belle personnalité littéraire, ces nouvelles ont su bien capter mon attention. Puis, touchée d’une manière aussi singulière qu’inattendue par chacune d’entre elles, il va sans dire que mon appréciation n’en fut que meilleure.
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