On ne présente plus Margaret Atwood tant son œuvre est pratiquement universellement connue. C’est une écrivaine dont je n’avais lu à date qu’un tout petit recueil de nouvelles et de micro-nouvelles ayant pour titre ‘Bones & Murder’ (Virago Press, 1995). A travers ces textes, j’ai découvert une auteure dont la prose, particulièrement vive et agile, sert bien l’esprit piquant qui anime les récits proposés dans cet ouvrage. Ma curiosité en était cependant restée là jusqu’à ce que le Père Noël se charge de m’offrir une nouvelle opportunité de lire cette auteure.
Hag-Seed – The Tempest Retold1
Penguin Random House (Vintage) 2016
♦
Publié dans le cadre du ‘Hogarth Shakespeare Project’2, Margaret Atwood s’est inspiré pour ce roman, de ‘La tempête’, une pièce écrite vers 1610-11 par William Shakespeare.
Se déclinant en cinq actes, la pièce raconte l’histoire de Prospero, duc de Milan qui, déchu et trompé par son frère, se retrouve éventuellement (avec sa fille Miranda) naufragé sur une île. Grâce au hasard, aux pouvoirs qu’il détient et grâce aussi au contrôle qu’il exerce sur certains éléments, Prospero va éventuellement trouver le moyen de se venger pour ensuite récupérer son duché.
Partant de ce scénario Margaret Atwood compose un roman au centre duquel se trouve la fameuse pièce de théâtre.
En 2001, alors qu’il est en train de monter ‘La tempête’, Félix Phillips, célèbre directeur dont le talent et la créativité a largement contribué à la réputation d’une prestigieuse compagnie théâtrale ontarienne, victime des manigances d’Antony Price (Tony), son plus proche collaborateur, se fait sèchement virer de ses fonctions. A cinquante ans, lui dit-on à demi mots, il n’est plus dans le coup, ses idées sont dépassées, pour le bien de la compagnie il est temps de tourner la page. Aussitôt Félix démis de ses fonctions, Tony se glisse dans le rôle de directeur de la compagnie et retire ‘La tempête’ du programme. De son côté, réalisant que sa carrière vient de prendre fin, abîmé par de récents incidents qui ont bouleversé sa vie privée, Félix décide de se rendre invisible à la vie publique et part s’isoler à la campagne. Là, soignant l’humiliation qu’il vient de subir et nourrissant l’espoir de pouvoir se venger, il devra attendre une douzaine d’années avant d’arriver à ses fins.
Les amateurs de théâtre et les admirateurs de Shakespeare pourront sans-doute mieux que moi, relever les divers parallèles existant entre les deux œuvres. Pour ma part, outre le fait que l’auteur m’a semblé s’être habilement acquittée du défi que représente un tel projet littéraire, ne connaissant pas, s’il en est, le détail des contraintes auxquelles elle devait se conformer pour rencontrer les attentes de l’éditeur, il est difficile, je trouve, d’évaluer de manière objective, la qualité de cette œuvre de fiction.
Quoi qu’il en soit, bien qu’il s’agisse d’une sorte de transposition je dois avouer que je m’attendais à une approche plus créative, notamment au niveau du contenu. J’ai donc été étonnée de constater que non seulement le roman demeure plutôt fidèle aux éléments de base du modèle mais au surplus, en dépit d’une personnalité qui lui est propre, il peine à se déployer et à exister dans sa propre dimension. Puis les personnages m’ont semblé si stéréotypés et leurs réactions sur-simplifiées si prévisibles que j’ai eu du mal à m’intéresser à eux.
De la même façon, du point de vue thématique, en dépit des diverses opportunités offertes (on touche ici à la trahison, la vengeance, le pouvoir et l’usage du pouvoir, et l’impact que peut avoir le théâtre dans un contexte éducatif) le roman navigue invariablement en surface et fait étalage d’un irrémédiable conformisme idéologique.
Au demeurant, certains passages semblant avoir été inclus à l’intention des lecteurs qui souhaiteraient eux-mêmes utiliser le roman pour en faire une pièce de théâtre ou comme outil d’enseignement m’ont semblé, en tant que lecteur lambda, d’un intérêt disons secondaire.
Cela étant, ‘La tempête’ ayant la particularité de comporter plusieurs éléments de magie et de surnaturel, j’ai trouvé judicieuse et fort plausible la façon dont l’auteure aura transposé cela dans un contexte contemporain en faisant appel entre autres aux technologies modernes.
Soulignons également que madame Atwood a su ici mettre à profit sa maîtrise de la langue, faisant étalage d’une créativité remarquable pour pimenter le texte de jolis jeux de mots, de figures de style étonnantes d’originalité, de même que d’habiles envolées musicales.
Enfin, si l’adresse avec laquelle le défi a été relevé est indéniable, je dois cependant avouer qu’en raison de son manque de profondeur et d’étendue ce récit m’a laissée sur ma faim. Habilement taillé à partir du modèle, ce roman devrait plus particulièrement intéresser un lectorat composé d’étudiants, d’enseignants et d’intervenants sociaux.
Notes :
1.Titre français : Graine de sorcière (2019)
2.A l’occasion du 400ième anniversaire de la mort de William Shakespeare, c’est-à-dire en 2016, Hogarth Press, un éditeur britannique, a lancé une collection dans le cadre de laquelle allaient être publiées des œuvres de fiction signées par des auteurs connus et ayant pour point commun celui de revisiter sous un jour contemporain les œuvres de Shakespeare.
©2015-2024 CarnetsLibres