Marie-Claire Blais

 

Soifs

Boréal, 1995

Seuil/Points (1996/2014)

Née dans la ville de Québec en 1939, Marie-Claire Blais entre sur la scène littéraire en 1959 avec la publication d’un premier roman, La Belle Bête ; après quoi elle enchaîne avec d’autres romans, écrit pour le théâtre, la télévision, la radio, etc.  Primée et admirée notamment pour son style singulier, elle figure parmi les auteurs les plus marquants de sa génération.

On dit qu’au moment où Marie-Claire Blais écrivait ce roman, elle estimait qu’il s’inscrirait éventuellement dans un cycle romanesque comportant deux ou trois volumes. Or il s’est avéré qu’entraînée par le flot des mots, le projet initial aura pris des proportions inattendues. Générant une dizaine de titres, ce décalogue auquel l’auteure aura investi plus de vingt-cinq années de travail  force autant l’admiration qu’il éveille la curiosité. La tentation d’ouvrir la porte de l’édifice pour voir de quoi il en retourne m’incita donc à me plonger dans ce premier volet.

Soifs est de ces romans qui, ne s’attachant pas à une histoire ou un personnage principal, et/ou ne se développant pas autour d’une intrigue plus ou moins définie, s’avèrent assez difficile à résumer.

Le récit  se déroule au cours des années 1990 et nous emmène sur une île située quelque part entre l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes. Il nous introduit d’abord à Renata convalescente en séjour sur l’île, pour bientôt glisser du côté de Claude son compagnon, puis de Claude au Pasteur Jérémy à Jacques, Tanjou, Marie-Sylvie, Mélanie, et ainsi de suite, déployant sous nos yeux une trentaine d’existences telles qu’elles se dessinent à ce moment précis de leur histoire, Soifs nous permet ainsi d’apprivoiser un univers dont on pressent éventuellement la portée.

Narré à la troisième personne du singulier, le récit nous est livré d’un seul trait en un époustouflant fil que seuls d’occasionnels points viennent interrompre. Puis via un discours s’apparentant au flux de conscience au long duquel les points de vue se déversent en alternance, ce long fil narratif nous entraîne dans une sorte de spirale au gré de laquelle nous pénétrons, à travers une sorte de panorama en kaléidoscope, dans l’intimité des pensées et des ressentis des personnages.

Tel que le titre l’indique, Soifs est un roman pluriel; une pluralité qui non seulement évoque la diversité des parcours, mais surtout celle des envies, des désirs, des pulsions animant ses personnages; autant de soifs qui chacune à leur manière laissent poindre la présence sous-jacente d’une perpétuelle tension.

Nonobstant la densité du texte, le ton intimiste et le rythme lent qu’épouse la narration nous entraînent tout en douceur dans cette espèce de tourbillon qui tout en reflétant la réalité de la vie, rend palpable la nature éphémère, voire fragile de toute chose.

Servi par une prose remarquablement fignolée, de la conception à la réalisation au souffle qu’il s’en dégage, c’est un roman qui, à l’égale de l’imposant édifice qu’il soutient, force l’admiration.

 

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