Michel Jean

Né à Alma en 1960, Michel Jean est issu de la communauté Innue1 établie dans la région du Saguenay-Lac St-Jean au Québec. Il détient une maîtrise en histoire (UQAM2) et exerce la profession de journaliste. Depuis 2008, il a collaboré à plusieurs publications et il a produit quelques romans dont Kukum, le plus connu à ce jour, un roman qui, avec Maikan et Tiohtiá:ke  explore en trois volets l’expérience et les répercussions qu’ont eu les pensionnats autochtones au Québec. Il écrit en français.

 

Maikan

Initialement publié sous le titre Le vent en parle encore aux Editions Libre Expression (2013)

Puis repris avec l’actuel titre par les Editions Dépaysage – Points (2021)

C’est un peu sous l’influence de commentaires positifs et beaucoup parce que j’avais prévu mettre quelques ouvrages de littérature québécoise au programme de l’année 2024 que, nonobstant la liste adressée au Père Noël, j’ai découvert sous le sapin, non pas un mais deux romans de Michel Jean.

Fort bien. J’entamai donc la nouvelle année avec la lecture de Maikan, un court roman dans lequel on découvre l’histoire sans doute typique de quelques personnages d’origine Innue qui, à l’instar de nombreux jeunes issus des Premières Nations canadiennes, ont subitement été retirés de leur milieu familial et social pour être envoyés dans des pensionnats financés par l’état et gérés par des religieux où, leur promettait-t-on, on allait les ‘éduquer’ et faire de ces jeunes des hommes et des femmes ‘mieux équipés’ pour faire face à la vie qui les attendait.

Ce douloureux chapitre de l’histoire canadienne est donc ici revisité en deux volets : d’abord à travers le parcours de trois principaux personnages, Marie, Valérie et Charles que nous suivons depuis leur départ du foyer familial à l’automne 1936, puis durant leur séjour à Fort George jusqu’au printemps de l’année suivante ; parallèlement via un second volet se déroulant environ 70 ans plus tard et qui épouse plus ou moins la forme d’une enquête, nous découvrons ce que sont devenus Marie, Valérie et Charles. Deux autres personnages clés entrent éventuellement en scène dans le second volet, à savoir Audrey Duval, une avocate qui, dans le cadre d’un programme de bénévolat, tente de retracer les victimes de ces ‘enlèvements’ afin que justice leur soit rendue ; puis Jimmy le Nakota, un autochtone autour duquel évolue une petite communauté de démunis et autres sans-abris auxquels il tente d’apporter un peu de réconfort.

Fiction composée à partir du réel, Michel Jean s’appuie visiblement sur son expérience de journaliste, sur une documentation établie, voire des témoignages directs, pour en concevoir la plus grande partie. Les principaux personnages et les lieux m’ont semblé crédibles, les faits semblent au plus près de la réalité.

Structuré à la manière d’un thriller, le récit est bien rythmé et le suspense contribue à maintenir l’attention. Puis, plongeant dans le vif du sujet, c’est sans détour que l’auteur décrit les cruautés subies par les jeunes autochtones lors de leur séjour au pensionnat Fort George.

Ainsi, pour réalistes qu’ils soient, certains passages du récit peuvent être particulièrement pénibles à lire, mais fort heureusement, le second volet vient, en alternance, contrebalancer une lourdeur qui par moments semble difficilement soutenable.

En dépit de quelques faiblesses d’ordre grammatical et une prose qui peine à s’accorder avec le cadre littéraire dans laquelle elle s’inscrit, on peut dire que globalement le roman atteint son objectif ; malgré la violence de certaines scènes, c’est avec une remarquable retenue qu’il dénonce les déplorables conséquences du colonialisme et parvient ainsi à nous y sensibiliser.

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Tiohtiá:ke (Montréal)

Editions Libre Expression (2021)

Seuil (2023)

Après la lecture de Maikan, j’ai enchaîné sans plus attendre avec Tiohtiá:ke.

Le récit s’ouvre à un moment appartenant au passé où nous découvrons Elie, le personnage principal, dans une scène particulièrement violente qui donnera lieu à son arrestation.

Puis on le retrouve une dizaine d’années plus tard, au moment où, sortant tout juste de prison, banni par sa communauté, il quitte son coin de pays et part en quête d’une nouvelle vie à Tiohtiá:ke, c’est-à-dire, Montréal3.

Là, tout en suivant le parcours d’Elie, nous croisons divers personnages qui, Innus, Inuits, Atikamewks, Cris, Mowhaks, Mikmaks, Anishinabes, Wendats, etc, partagent une même réalité ; celle de la rue et d’un quotidien vécu dans un monde où l’incompréhension (si ce n’est l’hostilité) isole tout autant que les masses de béton recouvrant un territoire désormais expurgé de son essence, déroute ces hommes et ces femmes imprégnés d’une toute autre ambiance.

A travers ce roman d’apprentissage qui se déroule à notre époque, l’auteur illustre (quoique partiellement) les retombées qu’ont eues sur les générations actuelles d’autochtones, les politiques d’assimilation implantées depuis le XIXe siècle par les gouvernements canadien et québécois. Dans la foulée, le récit touche divers thèmes tels que l’errance et la quête de soi, l’itinérance, l’injustice, mais aussi la solidarité et l’espoir.

Distribué en chapitres courts formant une succession de scénettes, c’est un roman qui, tout en évoluant à bon rythme, se veut aller droit au but. Mais s’il réussit fort bien à nous sensibiliser à la réalité décrite, et s’il invite à la réflexion, répondant sans doute à une volonté d’atteindre un large lectorat, la minceur du propos, la simplicité de l’intrigue, et surtout l’incroyable maladresse de la prose, portent irrémédiablement atteinte à la qualité littéraire de l’ouvrage.

Si Maikan, exhibait certaines faiblesses, loin de s’être bonifiées avec Tiohtiá:ke, celles-ci semblent s’en être allé en sens opposé.

Cela dit, que l’auteur n’ait pas réussi à affiner sa plume de romancier est une chose, mais le fait que l’un ou l’autre des deux éditeurs aient pu ne pas voir ni tenter de corriger les faiblesses (pourtant facilement repérables) au niveau de la syntaxe, de la grammaire et de l’orthographe, m’apparaît pour le moins curieux.

Au surplus, étant donné les multiples références d’ordre géographique, ethnologique et culturel, je me serais attendu à bénéficier de quelques notes explicatives. Mais outre une brève introduction et une note au bas de la page 65 (dont le contenu est erroné), le lecteur doit faire ses propres recherches.

Pour une édition qui visiblement a fait l’objet d’un certain soin, ces manquements sont pour le moins étonnants et méritent d’être soulignés.

Quoi qu’il en soit et au-delà de ces considérations, en dépit de la pertinence du propos, s’agissant de traiter d’un sujet qui m’a semblé essentiel, j’ai trouvé ce roman décevant.

 

NOTES

1.D’un point de vue ethnique, les Innus font partie des peuples Algonquins. Autrefois appelés Montagnais, le terme Innu, qui dans la langue innu-aimun signifie ‘être humain’, a officiellement été adopté en 1990.

2.Université du Québec à Montréal.

3.Tiohtiá:ke (prononcer ‘djiodjiagué’) est un terme utilisé en langue mowhak pour désigner le territoire par ailleurs connu sous le nom de Montréal.

 

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