The President’s Gardens
Première publication, 2012
Traduit de l’arabe vers l’anglais par Luke Leafgren
MacLehose Press, 2017
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Né en Iraq en 1967, expatrié en Espagne depuis 1995, Muhsin Al-Ramli, traducteur, enseignant et auteur d’une douzaine de publications à ce jour, est actuellement l’un des rares écrivains contemporains iraquiens dont les œuvres peuvent être lues par les lecteurs occidentaux. A l’instar de nombreux auteurs, Al-Ramli s’inspire de ses diverses expériences pour composer ses poèmes, nouvelles et romans. L’exil, l’immigration, la guerre sont les principaux thèmes que l’on retrouve à travers ses oeuvres. Ainsi, dans ‘The President’s Gardens’, un récit dont les protagonistes sont issus d’un milieu rural, il dépeint la réalité à laquelle a pu se frotter le peuple iraquien au cours de cette période difficile que fut (à quelques années près) la seconde moitié du XXe siècle.
Le récit s’ouvre en 2006, au moment où Isma’il, un berger ramenant son troupeau au bercail, découvre à l’orée de son village, les têtes dépourvues de leur corps de neuf hommes. Sous le choc, Isma’il parvient à reconnaître ou à identifier parmi les victimes, des membres de sa communauté. Bientôt informés de la tragédie, consternés, les villageois se concertent.
C’est dans ces circonstances exceptionnelles que l’auteur nous introduit à la petite société à laquelle les victimes de cette exécution ont appartenu, puis focalisant éventuellement sur Ibrahim (l’une des victimes), il nous dévoile peu à peu son histoire ainsi que celle de quelques-uns de ses proches, dont Tariq et Abdullah, ses deux amis d’enfance.
Nés en 1959, après avoir grandi ensemble dans un paysage idyllique, après avoir été nourris de valeurs ainsi que d’un mode de vie traditionnel, ces trois hommes seront bientôt précipités dans le maelstrom d’une existence à laquelle ils n’ont évidemment pas été préparés. Ainsi, tandis que transportés sur les champs de bataille, Ibrahim et Abdullah se voient confrontés à la guerre, la torture et l’emprisonnement1, exempté de ses obligations militaires, Tariq, suivant l’exemple de son imam de père, tente pour sa part de survivre et de se tailler une place dans un village privé de ses hommes autant que de ses ressources.
Puis, quelques années plus tard, tandis qu’Abdullah, revenu au village, tente de se réconcilier avec la vie, c’est aux côté d’Ibrahim, installé à Bagdad où il tente de pourvoir aux besoins de sa famille, que nous découvrons les excès auxquels se sont livrés les têtes dirigeantes du pays. Mais interrompu par l’invasion dirigée par les Etats-Unis et la chute du régime (qui plongeront le pays dans un incroyable chaos), le fil de sa vie prendra alors un tour inattendu.
Il va sans dire qu’il faut une solide capacité de recul, quand on a soi-même été touché par de tels événements, pour être en mesure d’en témoigner. A cet effet, l’on sent bien à travers la délicatesse et surtout la retenue avec laquelle Muhsim Al-Ramli se livre à cet exercice, on sent bien par le sentimentalisme mesuré et la neutralité calculée dans lesquels trempe ce récit, cette volonté d’aller soi-même de l’avant, de s’effacer, pour mieux rentre hommage aux victimes. Intention louable s’il en est, il n’en demeure pas moins que le point de vue adopté a forcément des répercussions sur la texture et le contenu du roman.
Ainsi, mariant avec souplesse divers éléments contextuels à l’histoire de chacun des personnages, à l’exception de quelques remarques bien senties, les thèmes soulevés par le récit, qu’ils soient de nature politique, sociologique, ethnologique ou économique, restent peu explorés.
Tout aussi pudique dans son rôle de portraitiste, l’auteur dépeint ses personnages avec juste ce qu’il faut de détails pour sensibiliser le lecteur à leur sort. Et si l’on s’attache volontiers à leurs pas, abstraction faite de traits généraux tels que ‘Tariq l’opportuniste’, ‘Abdullah l’éternel pessimiste’, ‘Ibrahim le défaitiste’, ou de faits ayant marqué leurs existences respectives, le tracé de leur personnalité et de leur psychologie reste si superficiel qu’à toutes fins pratiques, les trois hommes sont quasiment interchangeables. Pour leur part, les quelques dames peuplant le récit m’ont semblé être d’une consistance similaire, s’illustrant (si l’on peut dire) généralement par leur soumission au rôle qui leur est habituellement dévolu dans le contexte où elles évoluent.
Enfin, reposant sur une formule couramment utilisée dans le roman policier (à savoir: découverte ‘du cadavre’ – description de l’histoire de la victime et de ses pairs – conclusion) le récit est ainsi pourvu d’un certain niveau de tension. Il reste que, nonobstant un fil narratif non linéaire, appliquée sous une forme relativement ordinaire, cette formule ne contribue guère à la complexité ou à la sophistication littéraire du roman.
Bref, on reste généralement dans le domaine du descriptif, du portrait de société, et s’il en résulte un récit accessible, l’approche adoptée par l’auteur prive le roman d’une partie de son potentiel qualitatif. Le tableau qu’il trace est évocateur, il permet à une (plus) large palette de lecteurs de découvrir, par les mots et le point de vue d’un enfant du pays, un chapitre de l’histoire d’Iraq qui fut particulièrement dévastateur, mais ce faisant, il risque de laisser sur leur faim les lecteurs habitués à une littérature plus copieuse.
Notes:
1.Guerre Iraq-Iran (1980-88) et invasion du Koweit par l’armée iraquienne (1990-91)
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