Nicola Barker

H(A)PPY

Conception graphique par Lindsay Nash

William Heinemann (Penguin Random House), 2017

Née en 1966, auteur d’une douzaine de romans et de quelques recueils de nouvelles, on dit de Nicola Barker qu’elle figure parmi les écrivains britanniques les plus audacieux et les plus créatifs de sa génération, une épithète que l’attribution du Prix Goldsmiths1 2017 pour son roman H(A)PPY, semble d’ailleurs confirmer.

Présenté par l’éditeur comme un roman post-post-apocalyptique, H(A)PPY s’ouvre comme suit:

“After they banded together and saved us from the Floods and the Fires and the Plagues and the Death Cults, the Altruistic Powers actively discouraged the Young from thinking about God. We walked a new path. They called it the New Path of Light.” (p.1)

“Après qu’ils se soient regroupés et qu’ils nous aient sauvés des Déluges et des Feux et des   Epidémies et des Cultes de la Mort, les Puissances Altruistes ont découragé sans relâche les Jeunes de penser à Dieu.  Nous avons suivi une autre voie qu’ils ont appelé la Nouvelle Voie  de la Lumière.” (traduit de l’anglais par moi)

Puis nous découvrons un monde où les êtres vivants sont immortels, asexués, dénués de désirs et de souffrances, libres de doutes et de questionnements, ils vivent le présent, ils sont équilibrés, ils sont parfaits, ils sont heureux. C’est également un monde ‘communautaire’ où le partage est sans merci; un monde ouvert où, équipés d’un Capteur et connectés en permanence à un Flux, les pensées, les actions et les ressentis de chacun sont enregistrés, intégrés au Flux et peuvent être consultés à demande par tous les membres de la communauté. C’est donc un monde où l’on est surveillé et contrôlé, et où le moindre écart exhibé par un des membres, contamine et met en péril la pureté ainsi que l’équilibre du groupe.

Après une telle entrée en matière, on pense forcément avoir affaire à un roman de science-fiction. Puis, extrapolant l’état actuel des technologie des télécommunications afin d’illustrer les possibles conséquences de l’érosion de la sphère du privé, le tout se déroulant dans un cadre évoquant avec plus ou moins de précision l’image d’un système totalitaire, on s’attend donc à ce que le récit évolue de manière à explorer cette thématique. Mais il en est tout autrement.

En effet, une fois la mise en situation effectuée, le contexte passe en second plan pour laisser place à l’histoire de Mira A, la narratrice, une musicienne qui, à l’image de ses semblables est un être perfectionné, conditionné, ajusté au modèle de société dans laquelle elle vit. Toutefois, souffrant d’une tare dont on ne connaît pas la source, c’est aussi un être vulnérable, un être qui oscille, un être qui malgré les soins et les ajustements prodigués par les spécialistes, sort peu à peu des rangs. Puis, entre le conflit intérieur généré par son état et la menace d’exclusion sociale qui pèse sur elle, Mira A cherche une issue.  C’est dans la musique et à travers l’histoire d’un virtuose paraguayen2 qu’elle semble trouver un fil, un écho, une voie.

Bref, au delà du contexte et des artifices au sein desquels cette l’histoire évolue, reposant entièrement sur les pensées de la narratrice de même qu’ostensiblement centré sur le cas de Mira A, il semble évident que l’on soit ici, non pas dans le monde de la science-fiction mais bien dans le domaine du portrait psychologique. Du reste, outre la nature de l’intrigue, le caractère déconstruit de la trame narrative, les nombreuses allusions au langage, -langage articulé, intérieur, graphique, musical, symbolique, métaphorique, mathématique, etc.-, les évocations d’expériences à teneur mystique, ainsi que le rôle du rêve en tant que révélateur, concourent également à confirmer cette catégorisation.

Proposant une réflexion sur les thèmes de l’individualité face au conformisme institutionnalisé, c’est un roman qui par ailleurs devient audacieux par la forme.

Servi par une prose que l’on peut qualifier de cosmétique, -notamment en raison de la constance avec laquelle elle maquille le message et travesti les idées qu’elle a pour mission de transmettre-, une prose en phase (si l’on peut dire) avec un graphisme aguichant, c’est un roman dans lequel on entre avec le sentiment d’aller dans une direction et dans lequel on s’enfonce pour constater bientôt que l’on est hors sentier, au milieu d’une jungle à travers laquelle on ne sait plus retrouver son chemin.

Compte tenu de nombreuses références à ces domaines, il n’est pas improbable que le lecteur initié à la psychanalyse et/ou à la linguistique soit (mieux) en mesure de décoder les divers composants de ce roman. Quant aux autres dont je suis, après avoir pataugé avec plus ou moins d’amusement à travers ce fouillis de métaphores et de symboles pour tenter ensuite d’en tirer avec plus ou moins de succès une quelconque signification, l’appréciation de ce roman risque d’être particulièrement … déconstruite.

Notes:

1.Etabli en 2013 et sponsorisé par l’Université de Londres en conjonction avec le New Stateman, le prix Goldsmiths célèbre l’audace et la créativité en récompensant les œuvres qui débordent les conventions et élargissent les frontières du roman.

2.Agustín Barrios Mangoré (1885-1944)

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