Il venait de la Ville Noire – Souvenirs d’un arménien du Caucase
Edition traduite1 et augmentée de l’édition anglaise ayant pour titre The Black Raven2
Editions L’Inventaire, 1998
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C’est en effectuant des recherches sur la littérature arménienne que j’ai croisé ce recueil de Souvenirs... Peu commenté, occasionnellement référencé par quelques organismes dont je ne saurais mettre en doute le sérieux, ce livre me semblait suffisamment tentant pour que je lui accorde une petite lecture.
Il s’agit donc d’un récit de type autobiographique relatant d’expériences personnelles à travers lesquelles on peut entrevoir ce que de nombreux arméniens ayant vécu au XXe siècle ont pu connaître.
Partant de la petite histoire familiale de l’auteur, on entre éventuellement dans le récit alors que le XIXe siècle tire à sa fin. Né en 1897, l’auteur évoque donc la situation dans laquelle sa famille évolue au moment de sa naissance, puis il raconte son enfance à Bakou où son père occupe la respectable position de Directeur de l’Association des producteurs de pétrole de cette ville, dont par ailleurs Dastakian dresse un portrait assez précis. Notons à cet effet que les photographies d’époque augmentant le volume complémentent fort bien le texte.
Après une enfance relativement calme, encore tout jeune, Nikita Dastakian entame une existence marquée par les remous de l’histoire : premier exil à St-Pétersbourg où de fil en aiguille il termine ses études secondaires, fait son service militaire puis, dans le cadre de la première guerre mondiale, part en campagne sur le front autrichien.
De retour à Bakou, il entre sur le marché du travail, mais bientôt, de la Révolution d’Octobre à la chute de l’Empire Ottoman au génocide Arménien, une onde de choc secoue la région, bouleversant de nombreuses existences dont celle de l’auteur et de ses proches.
Puis à l’orée de la seconde guerre mondiale, l’histoire poursuivant sa course, Nikita Dastakian doit de nouveau prendre la route de l’exil qui, cette fois, le mène jusqsu’en Roumanie. Là il complète ses études, puis s’installe dans une nouvelle vie au sein de laquelle il semble avoir trouvé ses aises. Bien que non militant, ses activités l’amènent à entretenir des relations d’affaire avec quelques activistes arméniens. En même temps, bien que la Roumanie soit un pays relativement neutre, il se range du côté des alliés. Ces deux associations lui vaudront d’être interpellé à la fin de la guerre par des agents du MGB (ancêtre du KGB). A l’égale d’autres victimes, s’estimant au-dessus de tout blâme, il se laisse entraîner. Convaincu d’être vite relâché, il est rapatrié en Russie où, dépouillé de tout droit il est soumis à d’épuisants interrogatoires. Après plusieurs mois de ce régime, son dossier éventuellement ‘complété’ et couronné d’un jugement arbitraire, Dastakian s’en va rejoindre les rangs d’un nombre incalculable de prisonniers ‘politiques’ qui, d’un séjour à l’autre, peupleront à tour de rôle les geôles de la Sibérie.
A l’issue de sa peine (8 ans plus tard), son dossier est révisé et il est alors déporté à vie au Kazakhstan. Tandis qu’il tente vainement de récupérer et faire mettre son passeport à jour, la mort de Staline et quelques autres événements font finalement renaître l’espoir, et après de nombreuses péripéties, il retrouve sa liberté.
Dans un langage simple et direct, outre les divers événements qui ont marqué son époque, Nikita Dastakian évoque par le menu ses rencontres, ses observations, les situations auxquelles il a été confronté, ses coups de chances et ses déboires, etc. Le tout est raconté avec une sobriété remarquable.
Extraordinaire récit de vie s’il en est, sans doute que ce témoignage parlera plus intimement aux Arméniens de ce monde, mais de façon plus générale, il donne vie et voix à des existences qui auront payé le prix des perpétuelles incompréhensions dont souffre notre humanité.
NOTES
1.Le nom du traducteur n’est pas mentionné.
2.Voir: The Black Raven by Murad Mathossentz, Policy Research Publications, London, UK. 1988.
3.J’ai interrogé l’éditeur français afin d’obtenir un éventuel éclaircissement au sujet des différents noms d’auteur apparaissant sur les publications française et anglaise, malheureusement ma demande est restée sans réponse.
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