La Nuit Morave
Titre original : Die Morawische Nacht
Publié en 2008
Traduit de l’allemand vers le français par Olivier Le Lay
Gallimard, 2011
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Tout est transitoire. Tout est impermanence. Tout est subjectif. Voilà qui en quelques mots pourrait résumer le message que j’ai d’abord retenu après avoir refermé ‘La Nuit Morave’.
Mais dans la foulée de cette première impression, avec le temps et le recul, d’autres éléments, notamment d’ordre technique, remontent peu à peu en surface et redéfinissent le portrait d’ensemble que je retiens du roman.
Ainsi, avec ce titre qui me tentait mais face auquel j’hésitais depuis un moment, ma première rencontre avec l’écriture de Peter Handke m’a laissée perplexe. Car tandis que je parcourrais cet étrange morceau de littérature avec l’impression constante de rester ‘à côté’ du récit, de ne pas ‘rentrer’ dans le roman, je n’ai pas cessé d’autre part de m’interroger sur le sens de la démarche de l’auteur.
Parce qu’il faut bien le dire, il ne s’agit pas d’un roman dans le sens habituel du terme, mais bien d’un exercice, d’une exploration, bref, d’une démarche littéraire.
Le scénario de base est pourtant simple mais c’est un roman qui ne se laisse pas facilement appréhender et que d’aucuns estiment être l’un des plus complexes qu’ait écrit l’auteur.
Par une nuit de printemps, un groupe d’hommes, amis, collaborateurs, confrères et autres d’un ex-écrivain, sont conviés par celui-ci à venir le retrouver sur une péniche ancrée sur les bords de la Morave, dans les environs de Porodin en Serbie.
L’un des convives raconte.
Il raconte la soirée et il relate ce qui a été évoqué au cours de cette soirée. A travers ce récit rendu par personne interposée, nous voici peu à peu plongés dans l’histoire de cet ex-écrivain, un homme qui a cessé d’écrire depuis longtemps, qui vit sur une péniche, un ancien hôtel appelé Nuit Morave, et qui au cours de cette nuit, va partager avec ces hommes réunis, les points saillants d’un voyage qu’il a effectué à travers l’Europe et les lieux ayant marqué sa vie.
A partir de ce fil, réinventant en quelque sorte le récit de voyage, Handke s’ingénie à emprunter des voies novatrices et une approche créative du contenu, puis il s’ingénie également à jongler avec les mots, avec le sens et la direction suggérée par les mots, sinon avec les images qu’ils évoquent, en même temps, il alterne entre un ton poétique, un élan surréaliste, une lancée humoristique, un trait philosophique et ainsi de suite et enfin, défiant à récurrence la notion du réel, il nous sert ici, suivant les termes employés par le narrateur, le récit ‘par étapes’ d’une ‘grande fuite’, d’une ‘divagation’ d’une ‘équipée mortelle’ et d’une ‘course folle’.
Valsant entre délire et mystère, cette histoire nous parle entre autres choses de la façon dont l’ex-auteur perçoit les sons, voit la nature, conçoit les objets et pense à divers sujets. Glissant au passage quelques références à certains autres romans de Handke, elle nous entraîne dans une variété de lieux où le héros croise autant de personnages et de situations qui, tous décrits et contés d’une manière telle qu’ils apparaissent souvent comme insolites, bizarres, extraordinaires, contribuent ainsi à tracer un profil voilé, voire déformé de cet homme qui, en quête de ce qui le définit, est confronté à répétition à l’impermanence des choses.
Puis, tandis que sur la péniche le voyage est relaté en alternance par l’ex-auteur et l’un ou l’autre des convives (certains d’entre eux ayant été témoins d’une partie du voyage), prise en charge depuis le début et pour une large part par l’un de ces derniers, la narration du roman, en ‘nous’ (les convives) et en ‘il’ (l’ex-auteur), s’installe alors avec une certaine distance par rapport à l’expérience réelle de ce voyage, pour n’offrir au lecteur qu’une version ‘relatée’ et donc reconstituée ou interprétative de la réalité.
En outre, volontairement floutée, la notion du temps se dissous dans un voile d’indéfini qui insuffle aux deux plans au sein desquels évolue le récit une ambiance particulière qui sied bien à l’étrangeté du contenu.
Ainsi, tant par le contenu que par le verbe, par la façon dont l’histoire est racontée, par le point de vue narratif adopté et par l’atmosphère qui le traverse, le roman nous entraîne aux confins de la perception et sur les routes du rêve et de l’imaginaire.
Techniquement parlant il exhibe et met en relief une habilité et une créativité tout à fait singulière.
Servi par une prose gracieuse et glissante, qui va et vient avec souplesse, hésitant un instant avant de partir vers ou revenir d’une direction inattendue, une prose inventive et exubérante qui se joue, tantôt du sens pour s’adonner à l’esthétique, tantôt de l’esthétique pour fouiller le sens, le roman n’a d’égale que l’écriture qui le restitue: il est à la fois multiple et insaisissable.
Tantôt exigeante, tantôt stimulante ou déstabilisante, c’est une lecture au cours de laquelle je n’ai eu de cesse de questionner l’intention de l’auteur. Tâchant de tenir la route jusqu’au bout, il m’a fallu faire de nombreuses pauses, et j’avoue qu’à plusieurs reprises j’ai été bien près de mettre terme au voyage. Si à l’arrivée, j’ai pu accéder à une impressionnante vue d’ensemble, il n’en demeure pas moins qu’en dépit de l’admiration, la franche rigolade ou l’intérêt suscité par certains passages, d’autres, plus nombreux, dont le sens m’a peut-être échappé, ont contribué à rendre le parcours plutôt difficile.
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