Gros Mots
Gallimard, 1999.
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Ecrivain, parolier, dramaturge, scénariste et artiste visuel québécois né en 1941, on connaît peu de choses au sujet de Réjean Ducharme qui, souhaitant que seuls ses livres soient connus, a vécu une bonne partie de sa vie dans l’anonymat. Avec un style singulier, une prose éminemment créative et des textes qui, en dépit des années, conservent leur humaine actualité, son œuvre figure parmi les plus marquantes de la littérature québécoise. Gros Mots, est son neuvième roman.
Le récit se déroule à/et aux alentours de Montréal1 et traverse l’hiver 1970-71. Narré à la première personne du singulier et adoptant la perspective de Johnny, il nous introduit à l’existence de quatre personnages, Julien et La Petite Tare puis Johnny et Exa, formant respectivement deux couples dont l’histoire, usée par le temps semble ni plus ni moins que tourner en rond.
Johnny, le narrateur est un homme approchant la quarantaine, orphelin vivant aux crochets de son orpheline de compagne Exa, son existence semble meublée de peu de choses: le café matinal, la promenade ‘autour d’elle’, les courses, les heures passées à la brasserie ou au bar, les conversations avec la Petite Tare, et les moments tendres ou tendus qu’il partage avec Exa. D’occasionnelles virées en compagnie de Julien, son frère adoptif, complètent plus ou moins l’ensemble de son existence.
L’univers narratif de Johnny traverse donc ce quotidien pour finalement se centrer sur le relationnel, celui qu’il entretien ou qu’il observe auprès d’Exa, de la Petite Tare, de Julien, et de quelques autres personnes, entraînant dans son sillage une réflexion sur l’amour, l’amitié, la complicité, la confiance, et ainsi de suite.
Puis, lorsqu’au cours de l’une de ses promenades, Johnny découvre un cahier, sorte de journal intime rédigé et copieusement raturé par un homme à travers lequel il perçoit un alter ego lui renvoyant une image plus ou moins fidèle de ce qu’il est et des événements jalonnant son existence, d’une page à l’autre, d’un questionnement à l’autre, puis d’un évènement à l’autre, Johnny verra sa petite vie et celle de son Alter évoluer hors du cercle dans laquelle elle tourne pour prendre le chemin d’un futur indéfini.
Construit autour d’une intrigue modérément développée, et considérant l’omniprésence de cette brillante mise en abîme,- où l’on observe entre autres choses, un personnage qui adoptant la position de lecteur, découvre un texte rédigé par un auteur-narrateur qui, suivant un processus d’identification avec lequel nous sommes tous familiers, l’amène à être confronté à une vision distordue ou extralucide de sa propre réalité-, et du doublement des personnages auxquels elle donne lieu, ainsi que la présence de diverses allusions littéraires, c’est un roman qui, pour l’essentiel, m’a semblé être le fruit d’une réflexion sur le travail de création, sur le rapport existant entre l’écrivain et l’œuvre, de même que sur le rapport qu’établit le lecteur avec l’œuvre et éventuellement avec l’auteur via l’œuvre.
En outre, alternant d’un fil à l’autre et d’une scène à l’autre sans transition (ou presque) et servi par une prose habillée de métaphores et autres figures de style à la Ducharme, que l’on soit, à l’image de Johnny, un lecteur plus ou moins lambda, ou à l’image de la Petite Tare, une lectrice rompue aux théories et autres rouages de la littérature, Gros Mots est de ces romans qui ne se laissent pas facilement aborder.
Ingénieusement conçu et admirablement écrit, touffu, confondant, parfois sibyllin, avec un récit que l’on peut concevoir comme une sorte de concentré ou de substrat sorti de la fabrique ducharmienne, ce roman constitue, à mon avis, un ultime salut, une ultime réflexion, lancée à ceux et celles qui, au long des années, se seront plongés (et replongés) avec délice dans l’univers d’un auteur admiré.
NOTES
1.Plus précisément, le récit se déroule en partie à Montréal où résident Julien et la Petite Tare, et en partie sur une île plus petite où résident Johnny et Exa. Cette île, dont Johnny fait régulièrement le tour, est située à proximité de la métropole et y serait directement ou indirectement reliée par un train dont le point de départ serait la gare Windsor (évoquée à la p.90) qui fut en activité jusqu’en 1978. Ces éléments m’amènent à penser qu’il pourrait donc s’agir d’une des petites îles situées aux environs de la pointe Ouest de l’île de Montréal.
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