Saneh Sangsuk

Je dois la découverte de cet auteur à un extrait publié dans ‘The Twenty Best Novels of Thailand’, un extrait à la lecture duquel  j’ai immédiatement eu un coup de coeur pour l’écriture de Saneh Sangsuk. Un coup de coeur qui s’est d’ailleurs confirmé dès la lecture d’un premier roman et qui m’a vue enchaîner rapidement avec un autre roman et ainsi de suite.

the white shadow, portrait of the artist as a young rascal1

Traduit du thaï par Marcel Barang

Thaï Modern Classics – Edition numérique (2009)

Né en Thaïlande en 1957, Saneh Sangsuk (alias Daen-Aran Sanegthong), mène une existence erratique avant d’être admis à l’université où il entreprend des études de littérature et de langue anglaise. Et il lit, il lit beaucoup. Puis, diplôme en poche, d’un petit boulot à l’autre, il écrit de la poésie et traduit quelques oeuvres d’auteurs anglophones, traductions qu’il publie à ses frais.  Puis un jour, las de cette existence erratique, il part à la campagne où il s’enferme dans une maison isolée et écrit une trilogie autobiographique comptant plus de mille pages. Il attendra ensuite huit années, le temps d’amasser les fonds nécessaires, pour publier ‘the white shadow..’, second tome de cette oeuvre, avec lequel il compte ‘tester le marché’.

Boudé dans son pays, ça n’est qu’une fois traduit et présenté à l’étranger que le roman est remarqué et tel un sésame, il apporte la reconnaissance internationale à son auteur. Deux autres publications (‘Venin’ et ‘Une histoire vieille comme la pluie’) recevront un accueil similaire à la suite de quoi, en 2008, Saneh Sangsuk se voit décerner l’insigne de Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres.

Il faut dire qu’à l’image de son auteur, ‘L’ombre blanche’, n’est pas un roman ordinaire. Au delà du récit d’une adolescence thaïlandaise dans les années ’70, cette histoire, racontée avec le recul de quelques années, prend la forme d’une mise à nue, une confession déballée d’un seul trait par un être torturé, hanté par ses démons et dont l’image de soi reflétée par les événements passés, semble devenue plus grande et plus terrifiante que la réalité; une image face à laquelle le narrateur hésite entre rejet et résignation.

Ce premier roman révèle une plume dont la puissance n’a d’égale que l’esprit qui l’habite. D’entrée, on est ébloui par ces phrases qui, telles des fusées lancées dans la nuit, éclatent et retombent en gerbes de mots et bientôt, on ne peut plus faire autrement que de se laisser entraîner par le fil hypnotique de cette voix hors du commun.

Puis, de glissements spatiotemporels en jeux de perspectives, on traverse un monde peint avec une extraordinaire intensité, peuplé de personnages aussi vraisemblables les uns que les autres et marqué par la violence, la haine, la tendresse, la beauté, la laideur et la pureté.

Au vu d’une telle qualité, on ne peut que regretter de ne pouvoir apprécier ce roman dans son ensemble (les deux autres tomes le composant n’ayant pas vu le jour), d’autant que, prit seul, ce récit laisse apparaître un léger déséquilibre entre le sujet et le développement thématique.

Cela dit, voilà un premier roman percutant, annonciateur d’un grand talent.

Notes:

1.Titre de l’édition française: L’ombre blanche, Portrait de l’artiste en Vaurien

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Venin

Venin

Traduit du thaï par Marcel Barang

Thaïfiction – Edition numérique (2009)

Ni roman, ni nouvelle, ce court récit raconte l’histoire de Patte folle , un petit garçon âgé de 10 ans qui, soudainement pris en étau entre la cruauté des hommes et celle de la nature, voit, en l’espace de quelques heures, son destin basculer.

“Le soir tombait. Le crépuscule était déjà bien avancé. Le rouge foncé du soleil peu à peu s’estompait. Le ciel était limpide comme un dôme de cristal. Au-dessus de l’horizon au couchant, sous le jeu des rayons, de fins lambeaux de nuages prenaient une beauté irréelle. Leurs formes variées titillaient l’imagination. Il se contentait de rester assis, immobile, à regarder ces nuages comme s’il était en transe. Il voyait en eux un enchevêtrement de monts, le moutonnement d’une jungle dense, la ramure d’un grand arbre déchiquetée par la tempête…”

Saneh Sangsuk manie admirablement les mots et dépeint en images fabuleuses les lieux et circonstances de cette incroyable aventure.  En moins de deux, nous voici plongés en pleine campagne thaïlandaise, sentant le souffle du vent et respirant les parfums qu’il porte, tandis qu’aux côtés de cet enfant rêveur, nous découvrons une nature tantôt exubérante tantôt hostile.  Puis, entre peur et révulsion, nous voici entraînés dans un récit dont la tension est si bien maintenue qu’elle nous retient en place jusqu’à la fin.

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Une histoire

Une histoire vieille comme la pluie

Traduit du thaï par Marcel Barang

Seuil ( 2004)

Dans ce troisième roman publié en 2004, Saneh Sangsuk nous raconte l’histoire d’un village qui, au nom du progrès, est en passe de disparaître sous le regard inconscient de ceux qui lui ont donné vie, emportant avec lui un monde de connaissances et de traditions transmises depuis des générations.

‘En ces nuits sans espoir, ces gosses s’arrangeaient toujours pour gauler des cosses de tamarin qu’ils faisaient rôtir et dont ils croquaient les graines à belles dents et une fois qu’ils avaient mangé ils s’allongeaient les uns contre les autres telle une portée de chiots et une fois qu’ils s’étaient houspillés et chamaillés un bon coup certains s’endormaient sans bruit et sans bouger mais il y en avait aussi qui restaient assis en silence ou allongés en silence à écouter les adultes parler entre eux et le vent froid continuait de souffler, tout paraissait abandonné et désolé et le village semblait fragile dans l’immense vide environnant, semblait une chose dénuée de sens, dénuée de substance, une entreprise en sursis provisoire, et cette existence des gens et des choses qu’ils avaient bâties semblait totalement dépourvue de nécessité pour le ciel comme pour la terre.’

C’est au cours de ces nuits passées à la belle étoile que le bonze du village, entraîné par son âme rêveuse et une imagination débordante, raconte des histoires, désormais connues et appréciées de tous, des histoires où le réel se marie avec l’imaginaire pour dépeindre un univers bucolique peuplé de légendes, traditions, croyances et autres sagesses populaires.

Ainsi, à l’instar de son auditoire, on se laisse entraîner par ce narrateur-conteur qui nous fait vivre et découvrir l’extraordinaire monde de la jungle où tout un chacun est soumis aux implacables lois de la nature.

Riche en descriptions et en images qui voyagent sur la page telle de longues lianes traversant cette jungle magnifique, on est séduit par le verbe et la beauté de ce qu’il décrit. Cette richesse d’écriture laisse d’ailleurs deviner le défi qu’ait pu représenter la traduction d’un tel morceau de littérature, et à en juger par la qualité du texte fini, on ne peut que saluer le travail investi à cette tâche.

Une histoire vieille comme la pluie, certes, mais fort habilement servie par la plume de Saneh Sangsuk.

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Seule

Seule sous un ciel dément

Traduit du thaï par Marcel Barang

Seuil (2014)

Au temps du Bouddha (VIe et Ve siècle avant J-C), dans la ville de Savatthi (Inde) où celui-ci séjourna pendant une trentaine d’années, Kissa Gotami, une nonne s’apprêtant à quitter ce monde, raconte l’existence que fut la sienne ainsi que le parcours qu’elle suivit et qui l’amena à choisir l’ordination.

Conte philosophique plutôt que roman, cette histoire, celle d’une femme bravant les difficultés et traversant de multiples épreuves avant de finalement découvrir et comprendre sa vérité, nous propose donc une variation sur le thème de la quête de soi.

S’il est difficile pour le lecteur moderne d’imaginer la vie sous de telles conditions, le récit quoiqu’il soit centré sur la quête, nous donne suffisamment de clés pour deviner quelles furent l’existence et le parcours emprunté par cette femme.

On retrouve par ailleurs dans ce récit, l’univers familier de Saneh Sangsuk; un monde plus souvent hostile que tendre, peuplé d’humains aux visages multiples, d’animaux et de plantes en tout genres qui, chacun confronté à sa condition, lutte sauvagement avec ou contre les autres pour assurer sa survie et celle de son espèce.

Narré par une femme arrivée au soir de sa vie le récit adopte donc une perspective féminine ainsi qu’un point de vue en recul discret qui laisse toute sa place à l’action. Le ton, à la fois serein et dramatique, convient au personnage ainsi qu’à cette aventure dont le rythme et l’intensité sont relativement soutenus.

Sur le plan de l’écriture, la plume riche, puissante et maîtrisée de Saneh Sangsuk sert à merveille son sujet, ses personnages et son contexte et nous convie à un véritable festin d’images et de mots.

A l’exception de quelques invraisemblances ainsi qu’un fond thématique trop peu développé, voici un ouvrage de bien belle facture qui se lit, tel un conte, fort agréablement.

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