Le club des tueurs de lettres
Traduit du russe vers le français par Claude Secharel
Editions Verdier (1993)
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Né en 1887,-soit à quelques années d’écart avec Tolstoï , Pasternak et Boulgakov-, de parents issus de la petite bourgeoisie polonaise qui, après un séjour en Sibérie, se sont installés à Kiev (sous domination russe à cette époque), Sigismund Krzyzanowski arrive parmi les hommes dans un contexte biculturel, précurseur de cette espèce de vision universelle du monde qui l’habitera. Instruit au droit, il s’est également intéressé à divers domaines tels que les mathématiques, le théâtre, la musique et la philosophie, autant de connaissances qui, à l’évidence, transpirent à travers ses écrits. Polyglotte cultivé, après avoir parcouru les grandes villes d’Europe et fréquenté leurs universités, Sigismund Krzyzanowski s’installe à Moscou. Actif dans le milieu du théâtre, traducteur à ses heures, bien qu’il ait publié divers articles portant sur le théâtre et la littérature il est boudé par les éditeurs si bien qu’il figure parmi les écrivains de langue russe les plus méconnus de sa génération. Essentiellement conçue entre les années 1920-40, la plus grande part de son œuvre de fiction n’est pas publiée de son vivant et c’est par un concours de circonstances que, retracée parmi les archives centrales de littérature et d’art à Moscou, elle sera portée au grand jour sur la fin des années 1980 par Vadim Perelmouter. 1
Depuis plusieurs années déjà j’anticipais le moment de découvrir le travail de cet auteur et c’est finalement par ‘Le club des tueurs de lettres’ que j’ai pu le faire. On y rencontre d’abord le narrateur (non identifié), en conversation avec un homme, un écrivain qui affirme ne plus avoir rien publié depuis deux ans. Eventuellement, l’écrivain lui confie comment son talent commença de s’exprimer le jour où, démuni, il se retrouva seul dans une chambre, privé de livre et de toute autre distraction. Là, il n’eut d’autre alternative que de puiser en lui les mots, les idées et les histoires propres à meubler le vide. Après avoir connu le succès et la prospérité et par suite de divers développements, cet homme décida un jour d’abandonner la plume et les lettres au profit des idées. Cette initiative l’amena à créer ce club, dont l’activité consiste grosso modo à ‘tuer les lettres’ afin de permettre aux idées d’accéder à la liberté qui leur revient. Composé de sept membres, tous écrivains, depuis près de deux ans, le club se réunit tous les samedis pour une séance au cours de laquelle l’un ou l’autre des participants doit raconter/concevoir une histoire de son cru. De plus, tous doivent se soumettre à une règle: il leur est formellement interdit de transposer ces récits à l’écrit. Invité à se joindre au groupe, le narrateur, assistera donc, à titre de ‘lecteur pur’, à cinq de ces réunions avant que la tournure des événements ne l’incite à… tourner la page et mettre un terme à cette aventure.
Formant le cadre du récit, cette mini intrigue, habitée par une poignée de personnages vaguement définis, se déroule donc en filigrane, -presque trop discrètement pour maintenir l’attention-, tandis que les histoires racontées au cours de chacune des réunions, brouillons non complétés pour la plupart, forment la plus grande part du contenu du récit.
Je dois reconnaître ici qu’en cours de lecture, ayant l’impression de me trouver face à un ouvrage mal ficelé composé d’une suite d’histoires incomplètes, je me suis demandé à quoi pouvait bien rimer cet ouvrage. A plusieurs reprises j’ai dû poser le livre pour le reprendre plus tard, bref, interloquée il aura fallu que je prenne éventuellement un peu de recul pour accéder à une vision d’ensemble et par conséquent à une meilleure compréhension du projet.
Car en dépit de leur caractère brut, ces histoires, qui soulignons-le ne manquent pas d’intérêt, jouent ici un rôle précis.
S’inspirant de littératures en tous genres et explorant entre autres choses le monde du théâtre, du folklore, de la science et de la science-fiction, de la musique, etc., proposant divers types de personnages et développant divers thèmes, ces histoires, par le biais d’échanges entre les membres du club, permettent aux protagonistes (et au lecteur) d’examiner le processus de conception et de développement des divers composants d’un récit.
En somme, on peut dire que ‘Le club des voleurs de lettres’ consiste en une sorte d’étude, servie sur un mode fictif, mettant en relief diverses réflexions portant en grande partie sur le thème de la création ainsi que sur les divers facettes de la diffusion de l’œuvre littéraire.
Atypique, complexe, cérébral, intellectuel et créatif tout à la fois, parsemé d’humour, imprégné de philosophie, de littérature, de musique, de science et de fantasmagorie, marqué par un vocabulaire pointu voire taillé sur mesure, dense et parfois opaque malgré une intrigue fort mince menée par des personnages sous-développés, cet ouvrage étonne tout autant qu’il porte à réflexion. Court, il ne se laisse cependant pas facilement appréhender.
Notes:
1.Sources biographiques: La page dédiée à l’auteur sur Wikipedia, Vadim Perelmouter sur YouTube, la page dédiée à l’auteur sur www.culture.pl
D’origine Russe, né en 1943, Vadim Perelmouter est un poète, essayiste et historien de la littérature russe.
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