Wang Gang

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Traduit du chinois par M. Merz & J.W. Pan

Viking (2009)

Ürümqi, capitale de la Région autonome Ouïghour du Xinjiang, à l’époque de la Révolution Culturelle. Fils unique d’un couple d’architectes originaires de Nanjing, Liu Ai est né dans ce bout du monde, cette cité provinciale où il n’a pas choisi de vivre. Agé de douze ans, il mène sa petite existence d’étudiant, épiant ses concitoyens, s’emmêlant les pinceaux et découvrant peu à peu les réalités du monde adulte où il fera bientôt ses premiers pas.

A l’image d’une grande partie de la population établie dans la moitié nord du Xinjiang, Liu Ai est Han. Né de parents Han envoyés là-bas pour se réformer, c’est sous cet angle, sous le point de vue d’un fils de ‘déplacés’ ayant grandi dans un contexte différent de celui qu’ont connu ses parents, qu’il observe et découvre le monde.

Wang Gang, un écrivain et scénariste né en 1960 au Xinjiang, s’est inspiré de ses expériences et souvenirs pour composer ce roman. Mais pour ne pas répéter, pour ne pas dire ce qui a déjà été dit au sujet de la Révolution Culturelle, il a choisi d’extraire du récit la violence et la cruauté qui ont marqué son adolescence. De la même façon, il met à l’écart l’ambiance des camps de rééducation, les misères infligées par les gardes rouges et le reste, pour nous offrir un roman autobiographique où, sans être ignorée, la réalité sociopolitique n’est évoquée que de manière fortuite. Ainsi, c’est en mettant en avant l’universalité de l’expérience adolescente, nous incitant par voie d’identification à (re)vivre cette période de la vie, que ce roman nous permet de comprendre l’impact qu’ait pu avoir le contexte de la Chine des années 1970 sur l’existence de ceux qui l’ont connu.

Nous découvrons donc en Liu Ai un garçon curieux, à la recherche de sa propre identité, qui tente de s’affirmer dans un monde dominé par le silence, la suspicion, le mensonge ainsi que par d’incompréhensibles interdits. Ami avec la petite Huang Xusheng, une jeune fille intelligente et fragilisée par le contexte dans lequel elle grandit, énamouré de la belle Hajitaï, professeur de Ouïghour démise de ses fonctions dont la blondeur et le teint de porcelaine incarnent un idéal de beauté propre à alimenter bien des fantasmes, Liu Ai nourrit par ailleurs une admiration sans borne pour Wang Yajun, le jeune et élégant professeur d’anglais venu de Shanghai pour enseigner et transmettre sa passion pour cette langue et la culture qu’elle incarne.

C’est avec plus de vingt ans de recul, adoptant un ton plutôt neutre et un regard dénué de jugement, que Liu Ai nous dévoile peu à peu les événements ayant marqué ces années formatrices.

Contrairement aux personnages qui sont plutôt bien campés, le contexte dans lequel se déroule le roman reste vaguement dépeint. S’il est décevant de ne pas pouvoir goûter à la spécificité culturelle du Xinjiang ou d’Ürümqi, cette pâleur contextuelle vise sans doute à mettre en relief les personnages et les événements marquant leur existence, renforçant ainsi l’angle psychosociologique adopté par l’auteur.

A sa sortie en Chine (2004), English a jouit d’une chaleureuse réception et c’est sans doute guidés par cette popularité que les traducteurs et éditeurs ont privilégié (pour la version anglaise) la convivialité au détriment de l’authenticité et de la fidélité au texte d’origine. De là, on peut spéculer sur l’impact qu’ait pu avoir ce choix sur la prose qui apparaît ici comme impersonnelle. Deux éléments qui, à mon avis, portent atteinte à la valeur littéraire du roman.

Drôle, tragique et divertissant, English trace avec doigté le parcours chaotique d’une adolescence troublée, un portrait qui, sans être à même de prétendre à une qualité littéraire équivalente, n’est pas sans rappeler le Huckleberry Finn évoqué vers la fin du roman.

 

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