Our Twisted Hero1
Traduit du coréen par Kevin O’Rourke
Minumsa – Edition numérique (2012)
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Paru en 1987, au moment où à l’issue d’une longue période d’agitation, la Corée du Sud s’apprête à s’extirper des griffes d’un régime dictatorial régnant sur le pays depuis près de trois décennies, ce court roman, pour imprégné qu’il est des marques laissées par l’histoire récente du pays, en constitue un reflet particulièrement éloquent.
L’histoire qui nous est contée par Han Pyongtae commence en 1960, une année au cours de laquelle les mouvements de protestations faisant la réplique aux manigances politiques, mèneront finalement au renversement du gouvernement de Syngmann Rhee. Suite à un conflit avec son administration monsieur Han (père) est muté et avec toute sa petite famille, ils se voient ainsi forcés de quitter la capitale et de troquer une existence dorée pour une situation de second rang dans une quelconque ville de province. Han Pyongtae (à l’image de Yi Munyol) est alors âgé de douze ans. Elève modèle sortant d’une prestigieuse école de Séoul, fier du statut que lui confère son passé de citadin, il table sur ces atouts ainsi que sur ses performances scolaires pour se tailler une place en société. Ainsi, une fois parachuté dans son nouvel environnement, Pyongtae tout en s’attendant d’y être estimé à sa ‘juste valeur’, tente de s’assimiler parmi ses camarades de classe. Mais à son grand désarroi, c’est à des comportements rustres obéissant à des règles pour le moins incongrues qu’il doit faire face. Convaincu de sa raison et de son bon droit, il s’insurge contre l’impropriété de ces manières et ce faisant, se voit bientôt, pauvre combattant solitaire, précipité dans une guerre sans merci qui l’oppose à Om Sokdae, impitoyable président de la classe et personnage dominateur dont le souvenir hantera Pyongtae ainsi que ses camarades pendant de nombreuses années.
Avec le recul d’une trentaine d’années, Han Pyongtae nous amène donc à la rencontre du garçon qu’il fut et nous confie avec force détails comment il vécut cette période difficile au cours de laquelle, confronté pour la première fois avec l’un des multiples visages du pouvoir, -celui de l’autocrate rompu à l’univers de la supercherie, de l’extorsion et autres manipulations- il découvrit le prix à payer lorsque l’on tente de s’opposer de même qu’à l’inverse, lorsqu’on accepte de se soumettre.
Leçons de vie s’il en est, Yi Munyol puise sans doute dans ses souvenirs d’adolescent marginalisé, mais aussi dans ses observations d’adulte, pour décrire avec une telle acuité les expériences vécues par ce garçon ainsi que pour tracer avec autant de lucidité, à travers le portrait de cette classe d’école, mini-société reflétant l’autre, celle des grands…
Celle qui, au printemps 1960, vit une brève (et combien décevante) révolution et qui, en 1986-87 (au moment où le récit conclut), usée et abusée par un système autoritaire et corrompu, s’apprête à vivre les derniers remous d’une période pour le moins éprouvante.
La prose est sobre, l’intrigue est attachante et la narration, d’une fluidité remarquable. Mais si le texte est habilement tissé, le second volet du roman étant faiblement lié à l’intrigue principale, vient briser de manière perceptible, l’homogénéité du récit.
Brillamment conçu, ce roman, tout en disséquant les mécanismes du pouvoir, illustre comment l’école constitue tout à la fois un miroir de la société et une fabrique où se forment les esprits qui façonneront le monde de demain.
Notes:
1.Titre de l’édition française: ‘Notre héros défiguré’.
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